113ème cigarette sans dormir. [PV Noa]

Ouais, la vie au cirque, tout ça. Y a pas grand chose à en dire. Comme Tokyo est quand même la putain de capitale immense, y a forcément plusieurs mois de l'année où on va stationner dedans, dans différents quartiers. 'fin c'est quand même compliqué d'avoir les autorisations pour stationner sur un champ dans le quartiers des affaires ou celui où y a tous les manoirs, bizarrement. On est pas le cirque du soleil quoi, plutôt un tas de pouilleux. Pas mal de sans-papiers aussi – genre moi – donc faut pas trop attirer l'attention. C'est ce que le directeur du cirque dit. Ça me semble pas dénué de bon sens. Puis rappelons que le sus-désigné entretient des activités plutôt louches, même si je ne connais pas les détails, avec les mafias locales. Pour faire passer des trucs. Faut être un keuf salement motivé pour fouiller la paille de la cage d'un tigre, pour trouver les placards à double fond des caravanes minuscules et bordéliques. Puis c'est gentil un cirque non ? Y a des clowns et tout, c'est pour les enfants hein ? Même si on laisse des cadavres de bière derrière nous quand on plie les gaules.

Ce soir, représentation. J'aime ça, bondir d'une petite balançoire à l'autre au dessus du vide, et rattraper ma partenaire de scène. Et vu les circonstances, personne ne me pose de question même si je fais des sauts humainement impossibles. Je suis un mec du cirque. Les mecs du cirque font toujours des choses folles. Et j'aime entendre les gamins hurler de terreur quand je plonge dans le vide. Faut dire que j'ai pas une dégaine à rattraper des nanas et à les porter au dessus de ma tête, même qu'il y a deux ans un keuf dans le public est venu faire chier. Il était pas bien sûr que je sois majeur. C'est passé grâce à un pot-de-vin et à la difficulté d'estimer mon âge, rapport au fait que je sois typé caucasien. J'le comprends, j'ai du mal moi même à savoir ça. Quand je suis arrivé au cirque, j'avais pas fini ma croissance, en plus. Et j'ai pas encore de dents de sagesse, ou peut être qu'on me les a arraché avant, va savoir. Et j'ai besoin de me raser qu'une fois par semaine. Mais d'un autre coté j'suis quand même large d'épaule pour un ado, alors je suppose que j'ai quand même la vingtaine. Je devais avoir l'air particulièrement gamin ce jour là, je ne sais pas.

Bref, après la représentation, je me démaquille, j'enfile des vêtements plus confortable – le classique jean crado avec l'indémodable pull déchiré – pour des activités moins réjouissantes. Transbahuter du crack, de la bonne drogue de rue à laquelle je préfère jamais toucher. J'aime pas trop. C'est stressant, t'es entouré de mecs avec l'air pas rigolo, et tu comprends pas tout ce qui se passe. Y a des regards ou des gestes qui se commentent pas. Faut faire celui qui déambule tranquille et qui comprend pas ce qui se passe. Et encore... le trafic d'arme me stresse beaucoup plus, les mecs qui viennent porter ou prendre la marchandise ont l'air encore moins sympa. Et évidemment, c'est le directeur du cirque qui empoche tout le pognon – c'est lui le chef. Tout en réfléchissant, j'esquive sans y penser le coup de pied d'un mafieux qui trouve que je passe trop de temps sur la lune et pas assez à me grouiller le cul de mettre ça dans le coffre d'une des voitures. Une fois ça fait, je vais boire une bière avec mes petits camarades, en silence, en attendant que tout ces connards là partent. Le scénario est habituel, il se produit à chaque fois qu'on migre d'endroit. Mais c'est toujours stressant.

J'attends qu'ils partent pour pouvoir reprendre mes tâches plus « normales », comme nettoyer des trucs, ou ranger des trucs. Chiant, mais moins éprouvant psychologiquement.

Elle est mignonne la petite Noa, avec ses longs cheveux bruns et ses yeux verts. Elle est trop jeune aussi, on lui dit souvent. Moins maintenant. Avec le temps, elle a perdu son visage d'enfant, la vie à Tokyo n'a rien d'un jeu. Elle pourrait le retrouver, elle en est persuadée, mais elle n'en a pas envie. Il a beau être utile, c'est toujours drôle de se faire passer pour une enfant sans défense, elle le hait. Elle veut être grande, adulte, pour qu'on la laisse enfin tranquille. Les gens en rigolent, se moquent d'elle quand elle commande un verre, assise au bar. Un alcool de grand qu'ils disent d'un air presque choqué quand le serveur lui amène sa commande. C'est sûr que voir une gamine même pas majeure prendre le même chemin qu'eux, celui pour devenir qu'un alcoolique inutile à toute cause, ça fait réfléchir. Ça donnerait presque des problèmes de conscience à condition d'être levé depuis peu de peu. Donc d'avoir bu peu de verres. Elle les hait. C'est ces mêmes personnes qui en fin de soirée lui propose de les suivre en rigolant. Parce que la laisser boire son foutu verre c'est tout un problème, mais pour lui demander d'ouvrir les jambes, assise sur une benne à ordure, là plus personne ne dit rien. Ça a un côté normal. Tu es jeune, prostitues-toi et tu auras une meilleure vie qu'on lui dirait presque. Un jour, elle les tuera tous mais pas pour l'instant. Elle a définitivement trop de problèmes comme ça entre Kira et sa vengeance personne. Des fois, elle aimerait être une gamine en train de faire un cauchemar, elle aimerait se réveiller en pleurant pour voir son frère à ses côtés. Ce n'était plus possible.

Si seulement elle n'avait que ce souci ridicule, cette obsession pathétique pour un être mort, elle pourrait sans trop de prétentions affirmer qu'elle pouvait gérer ses affaires. Mais non. Il faut qu'elle se complique la vie, comme toujours. Partir dans une guerre contre Kira à l'autre bout du monde n'était pas suffisant, ça devait être ça. La pauvre, elle ne se rendait même pas compte de l'absurdité de son but, que ça ne servait à rien, que sans ça elle n'était plus qu'un cadavre dont même les corbeaux ne voudraient pas. Ouais, ça aussi on lui dit parfois en rigolant. Un esprit sain dans un corps sain, cette expression est tellement réelle. Elle, elle n'a aucun des deux. Elle est folle Noa, et elle s'amuse à se tuer la santé sans prendre le temps de s'en rendre compte. Si son frère la voyait, il aurait pitié de ce qu'elle était devenu, accro à tout ce qu'il y avait de plus mauvais pour elle. Mais elle s'en fiche, elle est persuadée qu'il serait fier d'elle, qu'il ferait exactement comme elle. Pauvre déchet.

Elle erre souvent. Elle passe un peu sa vie à ça, ces temps-ci plus que d'habitude. Elle en a marre de ne pas trouver de contrat. Pas de contrat, pas d'argent. Pas d'argent, rien. Bon, elle a toujours la possibilité de racketter certaines personnes qui passent, de les dépouiller de tout ce qu'ils ont d'intéressants comme des cigarettes, très important les cigarettes, mais ça reste minime. Puis, elle ne peut pas s'en prendre à n'importe qui. On sait jamais quel géant méchant et violent se cache dans la ruelle près à sauter à la gorge de tous ceux qui oseront approcher l'espèce de maigrelet qu'elle avait pris comme victime. Non, elle doit faire attention. Elle est plus vraiment au meilleur de sa forme, il faudrait éviter de faire trop de conneries, donc d'être elle-même. Donc c'est compliqué. Elle arrive devant ce qui ressemble à un cirque. Elle les a jamais aimés. Elle avait peur des clowns quand elle était petite, mais c'était pas grave. Arthur était là, prêt à les taper s'ils s'approchaient d'elle. Plus maintenant, mais bon elle a grandi aussi. Il manquerait plus que ça, qu'elle se fasse payer pour tuer n'importe qui et qu'elle ait peur d'un mec avec un nez rouge. Quelle idée. Elle rentre. Tiens, c'est crade. Les cirques à Londres étaient plus beaux. Tout est plus beau chez soi de toute façon. Enfin, théoriquement non, mais vu la merde dans laquelle elle a l'impression de vivre, c'est devenu comme ça.

Mais elle n'était pas là pour une super représentation pourrie, non. En fait, du cirque, elle s'en fichait pas mal. Elle avait juste entendu dire qu'elle pouvait trouver des choses intéressantes dans le coin, que ce cirque était plus ou moins mêlé à un réseau de drogue. D'accord, elle n'était pas du tout sûre que la personne disait vrai, mais c'est pas grave. Elle allait vérifier. Alors elle fouille, un peu partout. Elle ne fait pas vraiment attention, si elle croise quelqu'un, elle est un peu dans la merde. Elle lève les yeux. Merde.

« Hello... »

Je sirote ma bière en écoutant distraitement les conversations autour. Ça tourne majoritairement autour des détails techniques du boulot, puis ça passe naturellement sur comment le directeur du cirque c'est un sale connard. Pour le second thème, y a que ceux avec des papiers qui parlent comme ça, nous autres on préfère fermer notre gueule. Vaut mieux être mal payé et bosser dans le froid que de traîner aux alentours des agents de Kira, le cirque offre une relative protection, et on est content de pouvoir se cacher quelque part. Donc je ferme ma gueule et je me remplie la bouche avec des biscuits apéritifs goût calamar. J'ai beau être tout maigre, je mange largement ce qu'il faut. Ça doit être mon ADN bizarre qui me siphonne l'énergie de l'intérieur, et ça se voit à l'extérieur. J'en ai conclue ça. Ça expliquerait aussi mon éternel air fatigué. Faut mieux persister dans le régime biscuit apéro/bière alors. Ma partenaire trapéziste vient même en renfort avec la bouilloire électrique, pour préparer des bols de nouilles instantanées.
Mais, hélas – sens la profondeur du drame – il manque une part.

Je me lève en grognant pour aller chercher un autre paquet dans ma caravane. Je fais un détour pour ne pas passer près des trafiquants, si jamais l'idée que ma tête leur revient pas leur traversait l'esprit. Je passe donc dans un circuit un peu bizarre, entre les caisses de matériels et le dos des caravane, en enjambant les fils électriques et les déchets balancés par les fenêtres. Et je tombe sur une fille – j'en suis le premier surpris.
Elle me dit hello, et je reste comme un con à la détailler de haut en bas. Je suis surpris de tomber sur quelqu'un, dans le contexte. Déjà parce qu'il est tard, ensuite parce que j'ai les jambes entre une rallonge pour brancher un projecteur et des sachets de bonbons qui auraient dû finir à la poubelle. Qu'est ce qu'elle fout là ? Les gens entrent pas comme ça dans le camp au milieu de la nuit, d'habitude. Et encore moins une jeune fille a l'air malade. Elle a l'air européenne, les cheveux châtains très très long. Ça me renseigne nullement sur ce qu'elle fait là. Et « hello », c'est de l'anglais. Merde. J'ai quelques notions d'anglais, que j'ai pas appris au cirque. Encore une vague trace de ma vie d'avant le labo. Y a des trucs comme ça, je découvre que je les sais complètement par hasard. Bref, je tente de communiquer dans cette langue :

- Qu'est ce que tu fais ici ? Tu parles japonais ?

Et après mes connaissances linguistiques sont dépassées. Je hausse des épaules et je repasse dans ma langue maternelle – enfin, toujours pareil, je suppose que c'est celle là :

- Tu devrais pas te promener dans le cirque, c'est privé ici.

Et ça fait un bail que le spectacle est fini, en plus. Ceux qu'on chope à se balader entre les caravanes d'habitude, c'est plutôt les gosses. Faut quand même être tordu pour voler dans un cirque.

Merde. Elle doit avouer que dans sa grande intelligence, elle n'avait pas prévu de croiser quelqu'un Noa. Pour une fille qui a vu toute sa vie chamboulait petit à petit par des événements non prévus, elle n'a toujours pas compris la leçon. Il faut toujours s'attendre au pire scénario possible. Elle détaille rapidement l'inconnu. Bon, ça aurait largement pu être pire. Elle avait l'impression d'avoir évité le gros mec bourré qui s'était mis en tête de l'avoir comme jouet. Comme quoi, elle a parfois de la chance. Juste un peu. Est-ce que c'était réellement rassurant ? Aucune idée. De toute façon, elle ne se posait simplement pas cette question. À quoi bon. Il était devant elle, ça n'allait plus changer grand chose de toute façon. Elle n'allait pas le tuer quand même. Elle le regarde à nouveau. Ce n'était pas une si mauvaise idée en fait. Elle se débarrassait de lui et le problème était réglé, elle pouvait retourner à la recherche de ce qu'elle était venu chercher. Bon, le souci c'est qu'il devait y avoir d'autres gens pas loin, et que si elle arrivait à se débarrasser de lui, elle se voyait mal tuer tout un cirque comme ça, sans raison. Parce que bon, faudrait qu'elle y arrive quand même. Ils ne devaient pas tous avoir l'air aussi maigre et faible que lui.

Il y avait quelque chose de marrant dans le fait d'entendre quelqu'un essayer sans succès de parler sa langue maternelle. L'anglais est la plus belle langue du monde – du moins c'est ce qu'elle aime affirmer – alors tout le monde devrait le parler. Elle pensait ça quand elle était jeune, quand elle vivait encore à Londres. Puis il était mort, elle avait dû aller au Japon et apprendre la langue utilisée là-bas. Et c'était compliqué. Pourquoi toutes les langues ne sont pas aussi simples que la sienne ? Elle rigole. Est-ce qu'elle parle japonais ? Elle serait bien tentée de lui répondre que non, et de commencer une grande explication affolée en anglais pour faire comme si elle n'était qu'une vulgaire touriste perdue. Ce serait marrant, mais pas malin. Sérieusement, les gens étaient bêtes parfois. Ça paraissait logique qu'elle parlait japonais. Les trois quarts des personnes dans ce pays sont trop bêtes pour comprendre autre chose. Elle n'avait pas vraiment le choix si elle voulait parvenir à quelque chose.

« Oui, ben oui. Je parle japonais. – Elle sort une cigarette, pas vraiment parce qu'elle en a besoin mais surtout pour se donner le temps de réfléchir. Elle tend le paquet à ce mec, histoire de faire comme si elle était polie, bien élevée ou un truc dans le genre. Bon, il lui faut une excuse quoi. – Euh. Je me suis perdue ? »

Ce n'est pas pour rien que la fin de sa phrase sonne comme une interrogation. Elle se doute très bien que cette excuse plus que pitoyable ne va pas marcher. Sérieusement, il faut être vachement con pour se perdre dans un cirque. Déjà, il faut rentrer dans le cirque en question, et quand ce n'est pas notre destination, ce n'est légèrement pas possible. À moins d'être aveugle, ou complètement fêlé, ce qui n'était définitivement pas son cas.

La fille a pas l'air très impressionnée par moi, c'est bizarre. Elle semble pourtant se balader dans le coin en douce. Je vois pas ce qu'une fille de cet âge aurait à foutre dans le coin. Elle a pas l'air de le savoir elle même, d'ailleurs, elle me dit qu'elle s'est perdue. Je jette un coup d'œil aux alentours en me demandant comment on peut se perdre dans un cirque. Elle a pas l'air bourrée en plus. J'veux dire, tu vois la rue d'ici, enfin un bout entre deux remorques. C'est pas comme si c'était un très grand cirque. De l'autre coté il y a le chapiteau, ça fait un gros point de repère en bâche rouge fluo et jaune, ça peut pas se louper. Le terrain où on s'est installé fait cinquante mètres de long à tout péter. Je vois pas comment on peut se perdre là dedans.

- Hein ?

Ouais puis pourquoi aller dans un cirque ? Les mecs en train de trafiquer vingt mètres plus loin me rendent nerveux. Ça a obligatoirement rapport avec ça ! La nana, c'est p'tète une keuf. Je vois pas ce que ça peut être d'autre. Ils ont des condés vachement jeunes maintenant, mais des mafieux aussi tu m'diras, mais... ouais c'est une fille, voilà, du coup je la vois mieux chez les flics que dealer de drogue. Voilà, oui, du cliché, mais sur le coup je percute pas et je suis mon intuition. Faut mieux la tenir loin des autres excités, ça pourrait mal finir, et moi avec si on me soupçonne de parler avec un agent de Kira. Ou n'importe quelle intru, tout bêtement. Ils sont nerveux ces gars, ils vont pas kiffer de voir quelqu'un de pas prévu dans l'affaire rôder aux alentours. Donc, faut pas que la flicaille s'énerve, mais faut pas la laisser se balader non plus.

- Baaaah... la sortie c'est par là. Le spectacle est fini à cette heure, tout le monde pionce.

Nan c'est pas vrai ils picolent des bières autour du réchaud et je vais louper ma part de nouilles. Si ils pouvaient fermer leur gueule, pas faire de bruit et éviter de me faire passer pour un con ça serait super gentil. Si c'est une flic elle va vouloir fouiner encore, c'est dans leurs gênes. Dans les miens y a de l'instinct de survie. Question de priorité. Et les événements récents ont pas contribué à rétablir la confiance. J'ai tendance à voir des agents de Kira partout maintenant. Ils ont pas vraiment les moyens de faire le lien avec moi, mais et si... enfin le genre de truc qui te maintient inutilement réveillé au milieu de la nuit. Et j'ai faim, et cette connasse m'empêche de bouffer. Un bon cocktail de sentiments qui te fait passer une bonne journée.

- En plus y a des cages pleine de bestioles dangereuses, y a une loi qui dit j'sais-pas-quoi à propos de pas laisser traîner les gens autour. J'crois.

J'suis à peu près sûr qu'on a pas le droit de balancer les gens aux tigres pour qu'ils les bouffent, en tout cas. C'est dommage.

En fait, elle n'est pas très douée pour les mensonges Noa. Elle ne s'en était jamais vraiment rendu compte, parce que d'habitude ça passait, les gens ne faisaient pas trop gaffe. Dans les bas-fonds, faut dire qu'elle commence à être connu, les gens ne sont pas dupes, ils savent. Elle n'est pas qu'une gamine innocente et perdue. En fait, il faudrait vraiment être bête pour accepter de la croire. Elle fait les efforts de tourner les yeux, regarder l'endroit où elle se trouve. Ah oui, ça n'avait vraiment aucune chance de marcher. Tant pis. Au pire, elle trouverait autre chose, elle commence à devenir forte pour trouver des solutions de dernières minutes. C'est ça d'être tout sauf organiser, on se retrouve souvent dans le même genre de situations peu confortables. Dans le pire des cas, elle pourrait toujours se faire passer pour une attardée mentale, ce genre de solutions marchait rarement mais elle ne perd rien à tenter le coup. Sauf sa dignité. Ce qui tombe bien, elle n'en a plus vraiment Noa, elle est prête à tout pour s'en sortir même si là, elle n'est pas inquiète. Vraiment, qu'est-ce que ce gringalet pouvait bien lui faire ?

Menteur. En fait, il était comme elle là-dessus. Plus personne ne disait la vérité dans ce monde, comme si c'était synonyme de mort, désolation ou malheur apocalyptique. Elle abusait un peu mais c'était de plus en plus l'impression qu'elle avait en côtoyant du monde. Tout le monde avait son petit secret, aujourd'hui encore plus qu'avant. Pour une bonne partie des personnes qu'elle connaissait, le premier était le plus important, leur nom. Tiens, elle devrait lui demander son nom en fait. Bon, il lui donnerait sûrement pas, mais voilà. Elle soupire. Là, c'était autre chose, moins grave, mais il ne fallait pas la prendre pour une idiote non plus. Elle entendrait des bruits de conversations, peu d'accord, mais elle les entendait quand même.

« Non, c'est faux. Tu t'appelles comment ? En fait, je m'en fiche, mais voilà. – Ou comment faire flipper toute personne normale, mais ce n'est pas sa faute, elle ne se rend pas compte de la portée que peut avoir sa question. – Eh, mais attend. Quel spectacle ? »

Elle était dans un cirque, mais à part ça elle avait un peu de mal à voir le rapport. Dans sa tête, elle venait ici pour trouver de la drogue, le reste n'avait pas la moindre importance. À la base, elle n'avait même pas pensé qu'il y aurait pu avoir des civils dans le coin par exemple. En même temps, l'endroit n'était pas rêvé pour s'installer si on voulait avoir la chance de faire une recette à la fin du mois. Elle regarde autour d'elle. Des bestioles ? Oh, ça devenait intéressant. Elle voulait bien les voir ces bêtes, elle, en espérant que ça serait vraiment marrant, dangereux. Elle était obsédée par ça, la possibilité de pouvoir mourir d'un imprévu d'une façon horrible. C'était différent de mourir à cause de Kira, c'était moins prévisible, plus beau.

« Ah oui ? Par où ? »

Elle s'en fichait pas mal en fait des animaux. Elle n'avait jamais fait dans la protection, dans l'adoration ou quelque chose dans le genre. Elle venait juste de réaliser que s'il y avait quelque chose caché dans ce cirque, on le mettrait en sécurité, à un endroit où personne n'a envie de s'aventurer de son plein gré. Et un endroit du genre doit être dangereux. Ces animaux l'étaient. Le rapprochement s'était presque fait automatiquement pour une fois.

Je déduis que la gamine là, elle est pas keuf. Jamais un keuf se pointerait dans le coin sans un prétexte tout prêt pour fouiller, et jamais non plus il ne me demanderait mon nom en rajoutant derrière un « dans le fond je m'en branle ». Mais du coup c'est qui ? Ou alors c'est la suprême ruse suprême, se faire passer pour une paumée complète. Mon esprit commence à galoper sur les vastes plaines de la paranoïa. Être assez rusé pour se faire passer pour quelqu'un de pas rusé, pour tromper l'ennemi. C'est vicieux. Je jouerai pas à ce jeu là :

- Bin si tu t'en branles, j'le dirais pas mon nom.

Elle a aussi l'air surprise qu'il y ait un spectacle dans le coin. Si elle joue la paumée, elle le fait rudement bien. C'est le petit détail qui fait tout, et c'est franchement louche. Je sais pas si je préfère voir un keuf traîner dans le coin ou une camée tellement camée qu'elle sait plus où elle est... quoiqu'en y réfléchissant, la camée est quand même une meilleure option. Ça pose moins de problème. 'fin si les autres excités en train de transbahuter et de négocier avec le directeur tombent dessus, ils vont être moyen jouasse et elle risque de finir au fond du fleuve avec une pierre accrochée au pied. Et moi avec si on me voit faire la jactance.

- Mais... c'est un cirque ici. Les clowns, les tigres, les enfants qui s'amusent, tout ça.

Ouais, tout mignon, certainement pas une planque de drogue. Mais ça a pas l'air d'arrêter ni même de ralentir notre jeune connasse ici présente, parce que maintenant elle veut voir les putain d'animaux alors que j'lui ai dit que c'était interdit de faire traîner les gens autour. Putain de junkie, ils écoutent rien, ils se soucient de rien, ils pensent à rien, c'est juste des putain de besoins sur patte. Faut absolument que je l'éloigne, et j'ai qu'une seule option en tête pour ça. Tant pis pour les nouilles, j'ai plus qu'à apprendre à me nourrir par photosynthèse, mais faut éviter le putain de drame là.

- Nan mais les tigres ils dorment là... ça te dit un splif ? Ça m'saoule de fumer tout seul.

Quant aux tigres, pour les trouver, suffit de suivre l'odeur. Un mélange de merde et de bidoche moisie. Et si c'est une keuf en couverture bah... elle va pas me foutre en taule pour les deux grammes de com' que j'ai dans la poche, et si c'est une paumée elle dira p'tète oui. P'tète par contre qu'elle en est à un stade où y a que l'héro ou j'sais pas quoi qui l'intéresse, mais ça a pas l'air. Ou alors depuis pas longtemps. J'veux dire, elle a l'air encore vaguement vivante, des yeux encore expressifs, avec des cheveux sur la tête et une dentition à peu près complète.
Je commence à effriter dans le creux de ma main, après avoir fait un collage. Dans le fond, j'en ai bien envie aussi de ce joint. Le seul problème, c'est que ça va me donner encore plus la dalle. J'ai vraiment un problème avec ça. C'est pas qu'il y a pas assez à bouffer dans le cirque, c'est que mon métabolisme exige des quantités gargantuesque de bouffe. Sans doute un rapport avec ma nature hybride, ça doit consommer grave de l'énergie. Je sais pas. En tout cas, je roule rapidement, parce qu'on est en extérieur, le vent, tout ça. Je préfère en intérieur, je prends bien mon temps de faire un collage élaboré, bien coupé, avec un beau ton-car, en discutant à coté, mais en l'occurrence j'ai pas le temps. Et pas envie de discuter, non plus. J'allume.

- Faudrait qu'on s'éloigne un peu, le directeur du cirque risque de m griller.

C'est un mensonge, je pourrais me piquer au whisky coupé à l'eau qu'il en aurait rien à foutre, ce sale con.

Elle ne sait pas trop sur qui elle est tombée en fait. Plus les secondes passent, et plus elle se rend compte qu'elle n'aurait pas dû venir, que c'était une mauvaise idée. Oui, on ne débarque pas dans un cirque à l'heure où tous ceux qui y travaillent essayent de se reposer. Enfin, le mot n'était pas forcément des plus adaptés, le repos est quelque chose de presque inexistant maintenant, et elle se plaît à croire que ce n'est pas juste dans son cas mais une généralité, que tout le monde perd le sommeil ou cette joie de vivre qui permet d'apprécier tout ce qui est bénin. C'est bête. Elle n'a pas l'impression d'avoir raté sa vie, mais presque. Avant, elle pouvait sourire pour un rien, maintenant elle est désespérée au point de venir chercher de la drogue dans un cirque craignos. C'est une belle évolution Noa, vraiment on peut dire que sa famille ne serait pas fière d'elle si elle était encore vivante. Plus elle est en la présence de ce garçon bizarre, plus elle le sent mal. Elle a la certitude qu'il n'est pas bête. En fait, chez elle, c'est très simple. Quand tu n'es pas bourré et que tu n'empestes pas l'alcool à la tombée de la nuit, c'est que tu n'es pas bête. Elle ne se complique pas la tâche à savoir si c'est le cas, ça ne l'intéresse pas.

« What ? Mais... Non ! T'as pas compris. Je te laisse pas le choix là, tu me le dis et puis c'est tout. »

Quelle logique Noa, vraiment bravo. Elle sait qu'elle est ridicule à parler comme ça, que ça fait gamin et que c'est le contraire de l'image qu'elle essaye de se donner. C'est triste. Sur le coup, elle n'y peut pas grand-chose. Elle n'a jamais vraiment été réfléchie, elle agit et c'est tout. La plupart du temps, elle ne pense même pas aux conséquences qu'il peut y avoir après. C'est trop compliqué à faire la plupart du temps, et surtout c'est trop tard. C'est pour ça qu'elle dit des conneries. À quoi bon se rattraper si elle a déjà perdu toute crédibilité devant la personne. Oui, comme pour le cirque. Quelle idiote qu'elle est, vraiment. Un cirque, bien sûr qu'il a des spectacles, si on peut appeler ces représentations grotesques comme ça. Elle baisse la tête en l'entendant faire la remarque, comme si elle avait honte. C'est un peu le cas après tout, il doit la prendre pour une demeurée à ce niveau-là. Il y avait de quoi. 

Elle lève les yeux à l'entente du mot fumer. Quelle idée de penser qu'elle pourrait dire. Est-ce qu'elle a vraiment une tête à refuser ? En fait, pour un idiot, un aveugle, ou une personne totalement innocente, oui peut-être. Mais elle se doute que ce n'est pas son cas, qu'il n'allait pas proposer ça à une personne susceptible de refuser. Elle sourit, hoche la tête quand il lui dit qu'il faut aller plus loin.

« J'te suis alors. »

Tout simplement, oui. Elle oublie totalement les tigres sur le coup, elle s'en fiche pas mal en vrai. Elle s'en rappellerait sûrement plus tard, en même temps de la raison exacte de sa présence ici. Ça ne l'obsède pas, il faut dire. Enfin, pas pour le moment. Plus tard, oui alors elle reviendra peut-être. En attendant, il vaut mieux qu'elle se renseigne. Sur quoi ? Elle n'en avait pas la moindre idée.

« Un cirque... – Elle repense aux personnes qu'elle a croisées à l'entrée. – Eh, y'a des gens louches pour un cirque quand même. »

En même temps, si elle n'y était pas rentrée, ça aurait fait une personne bizarre en moins, ça aurait été bien.

La fille me demande mon prénom comme si elle avait les moyens de m'obliger à le dire. Mais sans me menacer. Ça sonne étrange, du coup. Elle a sans doute bu ou autre chose avant de venir pour raisonner comme ça. Si y a bien un truc que j'ai appris au contact de gens bourrés/défoncés, c'est qu'avec ce type de personne tout peut advenir, ils peuvent décider de n'importe quoi selon où les montagnes russes de leurs humeurs les entraînent. Vu qu'elle est branchée en mode aléatoire visiblement, il ne faut mieux pas lui tourner le dos. Le splif était une excellente idée. Elle aura la flemme de faire des conneries et se calmera peut être à propos de mon nom et du cirque. Elle ira peut être même s'acheter à manger ou rentrer dormir chez elle ? Je sais à quoi ça ressemble quelqu'un qui s'est pas reposé depuis le Déluge. Ça a une sale gueule. Peut être qu'un miracle va se produire, que deux neurones vont se connecter et qu'elle va se rappeler qu'il est largement l'heure d'aller dormir chacun chez soi. C'est le but de la manœuvre en tout cas.

Je tire sur le joint quelques tafs et je lui tends en recrachant la fumée par le nez, parce que ça fait le mec détendu, genre tout est normal. Mais y a des mecs tout louches qui transbahutent des sacs de poudre à vingt mètres de nous. Bordel, je déteste ces ambiances.

- Forcément que le coin a l'air louche, c'est un cirque. C'est le but d'avoir l'air louche. C'est ça qui est marrant. Tu vois moi j'suis trapéziste par exemple, et les gens ils viennent au spectacle en espérant à moitié que je m'écrase par terre. Y a un des clowns qui dit que le cirque c'est le miroir de nos fantasmes j'sais pas quoi, mais c'est celui qui est tout le temps bourré alors je sais pas trop si il se base sur des trucs qui viennent de notre monde pour dire des phrases comme ça.

Je reprends mon joint pour refumer dessus. Il va me falloir de l'inspiration pour lui sortir l'idée de fouiller de l'esprit et mettre de la merde à la place. Je pensais pas que mon collègue alcoolique m'inspirerait un jour. Apparemment, il a lu des bouquins. Ça a pas l'air de lui avoir réussi. Il fait un tas de grands phrases sur le cirque et ce que c'est censé représenter dans le monde moderne, quand il est dans ses bons jours – ceux où il vomit pas. Moi j'pense que c'est tellement dépassé les cirques qu'ils vont tous fermer petit à petit, parce que quand t'as la télé tu dois en avoir globalement rien à foutre d'un mec grimé en guignol qui saute de vingt mètres de haut. C'est rien à coté de ce qu'un robot géant peut faire, surtout si il sait cracher le feu. Qu'est ce que cette nana peut en avoir à foutre du cirque, si c'est pas une keuf, si elle connaît pas ces mecs de la mafia ? Je lui retends le joint.

- Et euh... tu fais quoi dans la vie et tout ça ?

Et là le cannabis me laisse à sec d'idée géniale pour relancer la conversation et continuer de l'éloigner de là où c'est vraiment intéressant. Peut être qu'à la longue elle va me trouver un brin chelou de la traîner à l'écart comme ça et va en venir toute seule à la conclusion qu'être chez soi, c'est mieux. C'est plus en sécurité déjà. Ça serait bien. Surtout que maintenant que j'ai fumé j'ai encore plus la dalle, le genre de dalle qui semble venir de l'au-delà pour faire un vortex infini au fond de ton estomac. Toute bouffe qui approcherait ce périmètre maudit disparaîtrait automatiquement. Quelque chose comme ça. J'ai vraiment très faim quoi.

En fait, il est gentil ce mec. C'est la seule information qui réussit à parvenir à son cerveau quand il lui tend le joint. Elle est un peu bête Noa, pas très maline. Elle pense d'une drôle de façon, par intérêt souvent, puis par patriotisme complètement ridicule. Vivant au Japon, la première raison a largement pris le dessus sur le reste. Elle fume ce qu'il vient de lui passer. C'est sympa. Ce n'est pas comme si elle en avait vraiment besoin, ce n'est pas comme si elle était clean mais ça lui fait du bien. Ça la calme en fait. Peut-être que c'est ce qu'il attendait avec cette magnifique idée. Quel garçon intelligent quand même. Elle l'écoute parler de cirque. C'est bizarre quand même comme sujet de conversation mais sur le coup, elle trouve ça passionnant. Franchement, ce mec a tout compris à la vie. Tout.

« Ah ouais. C'est cool. Moi j'aime pas les cirques. »

Elle s'est déjà entendu dire des choses plus intelligentes, plus constructives. Elle le regarde avec de grands yeux, comme si elle attendait quelque chose mais elle serait elle-même incapable de dire quoi. Peut-être qu'il la tape parce qu'elle n'aime pas sa profession ? Et puis merde. Après tout, c'était qu'un cirque, ils s'en fichaient totalement non ? Mais à part ça, rien.

Ce qu'elle faisait dans la vie ? Bonne question. Elle se la posait de temps en temps, rarement quand même parce que se remettre en question c'est pas son truc. C'est jamais sympa, on se dit qu'on a totalement foutu son existence en l'air. Elle fait un grand sourire en fumant sur le joint qu'il vient de lui repasser encore. Non franchement, c'est pas une bonne idée. Elle sent qu'elle va sortir une connerie, mais quoi ? Elle n'avait aucune raison valable de ne pas le faire ? Elle est grande, libre et responsable de ses actes. Bon d'accord, c'est surtout qu'elle n'arrive pas à calculer l'importance de ce qu'elle va dire. Il faut un minimum d'intelligence pour ça et l'anglaise a perdu le peu qu'elle avait depuis longtemps.

« Tueuse à gages. »

Et tout ça dit de la façon la plus innocente qui soit. Avec son air de gamine attardée, il n'allait sûrement pas la croire mais après tout, ce n'était pas son problème. Elle avait dit la vérité à un inconnu qui pourrait la dénoncer rapidement à la police s'il en avait envie. Quoi de plus génial ?

Elle regarde les choses autour d'elle et commence un peu à toucher à tout. Quelle curiosité mal placée, comme d'habitude. Elle fait tomber quelque chose, ça fait du bruit. Elle le regarde avec un air désolé, sort son paquet de cigarettes. Ouais, il faut qu'elle s'occupe, qu'elle fasse quelque chose et fumer c'est largement moins gênant que casser tout le cirque. Il risque de pas apprécier le mec en face d'elle. Ça se fait pas de casser le boulot des autres.

« Et toi ? À part jouer le cadavre dans un cirque et t'occuper des gamines chiantes ? – C'est bien, elle a conscience de certaines choses ce qui est déjà un bon début. – Enfin... Fuck, je sais toujours pas comment t'appeler. J'peux dire Ghost ? Parce que cadavre, c'est pas sympa. Donc Ghosty... »

C'est nul, vraiment nul. Elle aperçoit quelqu'un derrière le mec du cirque et lui fait un grand signe de la main. C'est la moindre des choses, vraiment. Il la regarde bizarrement, méchamment presque. Tant pis. Pour une fois qu'elle essayait d'être gentille.

« C'est un pote à toi ? Con. Je peux le tuer ? »

Tueuse à gages hein ? Évidemment que je la crois pas. Les gamines tuent pas les gens, jamais, nul part. C'est les italiens en costards qui font ça. Donc, j'envisage pas une seconde que ce qu'elle me dit puisse être vrai, je prends ça pour une provocation de gamin. Donc j'ignore. La fameuse tueuse à gages est tellement sous je sais pas quoi qu'elle renverse une boîte d'ampoules pour projecteur, le genre de truc qui vaut la peau des couilles. Mais quelle idée de laisser ça dehors sur une caisse de matériel aussi. Y a qu'à dire que c'est le vent qui l'a renversé. Je lâche quand même un petit « putain nan les ampoules » pour qu'elle culpabilise un peu, y a pas de raison. Ensuite elle me sort des conneries.

- Mon nom de scène c'est Mordred et euh... bah je fais rien sinon, juste genre nettoyer le cirque et ranger des trucs. J'vais pas à la piscine le mercredi ou des trucs comme ça.

Il paraît que c'est ça faire des trucs dans la vie. Aller à la piscine le mercredi et prendre des cours de peinture. Je trouve ça con, c'est fatiguant. Mais j'ai pas le temps d'approfondir le sujet parce qu'un mec arrive. Et c'est pas un gars du cirque, c'est un de ces gonzes tatoués tout flippants. Et la gamine me dit des conneries. Je laisse tomber le mégot du joint et je l'écrase tout en disant :

- Non ! Tu fermes ta gueule !

Je vais au devant du gars avant qu'il soit près de la morveuse.Au début, il la regarde méchant. Puis tu vois la lueur dans son regard qui s'allume quand il calcule que c'est une fi-fille. Il me demande qui c'est... en souriant. Le genre « je me renseigne pour savoir si je peux passer dessus ou pas ». C'est encore plus flippant que si il souriait pas. Je flippe et je raconte n'importe quoi :

- C'est ma copine ! Je lui ai dit de pas venir mais elle est bourrée et tout... je l'emmène chez elle.

Là dessus je fais demi tour comme une balle sans lui laisser le temps de répondre et je tire la nana par le bras pour qu'elle me suive. Le gars nous rappelle pas et proteste pas, il a des trucs à faire donc il y retourne. Je dis à la nana :

- Tu vois ce que ça donne de fouiller ? J'te le dis, y a des gars là, c'est des espèces de malade de yauzas de mes couilles, faut pas approcher des gens comme ça. T'as pas des devoirs à faire ou j'sais pas quoi ?

Je sais que je devrais pas lui parler comme ça, elle va se vexer et faire de la merde juste pour me prouver que j'ai tort, mais le stress me fout en boule. Dans le fond je m'en fous qu'il lui arrive de la merde, je veux juste pas être lié à ça. Elle a l'air assez douée pour se foutre dans des situations à la con toute seule de toute façon. Je sais pas, t'as des meufs comme ça, elles dégagent un truc, tu sais que c'est des nids à embrouille. Des nanas en mode auto-destruction. La dompteuse de tigre dégage un peu ça – et je couche avec, comme je suis un mec intelligent.

- Bon, j'te raccompagne chez toi si tu veux.

Pourquoi personne ne la prenait jamais au sérieux ? C'est vrai qu'elle est chétive, elle ne se nourrit plus beaucoup depuis qu'elle est arrivée au Japon. Elle paraît faible, pas capable d'avoir le dessus sur quelqu'un qu'il faut tuer. Pourquoi tout le monde pense que c'est la force qui fait la différence ? Il y a aussi la stratégie derrière. D'accord, Noa n'en a jamais. Elle se doute que ce Mordred a très bien compris qu'elle n'est pas trop du genre à réfléchir avant de faire quelque chose, c'est sûrement pour ça. Dans ce cas, il reste quelque chose d'autre, d'encore plus important. L'effet de surprise. Oui, il faut pas croire, mais on peut aller très loin juste avec ça. Et la petite Anglaise qui paraît si inoffensive est très douée pour le créer. Qui s'attendrait à la voir planter un couteau dans l'estomac de quelqu'un ? Personne justement.

Elle se fait à gueuler dessus. Putain, qu'est-ce qu'elle n'aime pas ça. Elle ne supporte pas qu'on la traite de gamine. Et puis quoi encore ? Elle est vraiment capable de tuer ce mec en face d'elle. Enfin, c'est ce qu'elle pense, mais si elle n'essaye pas, elle n'aura jamais la réponse. Enfin bref. Elle flippe un peu. Le sourire de ce type est flippant, sur le coup elle est bien contente de l'intervention du mec du cirque. Il lui a rendu un sacré coup de main, elle le sait très bien. Bien sûr, elle hésite à dire merci. Ce n'est pas dans ses habitudes, loin de là. Ça voudrait dire qu'elle lui serait en partie reconnaissante pour plus tard, et ça elle refuse. C'est vrai, sa réaction n'était pas très intelligente mais après tout, Noa ne l'est pas. Tout le monde pourrait l'affirmer. Elle n'est qu'une pauvre petite fille paumée qui ne sait pas quoi faire de sa vie. Alors elle tue, parce qu'elle a subi un événement traumatisant, son frère est mort dans ses bras. En fait, elle est même persuadée d'avoir une histoire banale. Elle soupire. Elle n'aime pas non plus passer pour une ingrate.

« T'as raison. Enfin, je crois. Ce mec fait peur, mais j'aurais pu le tuer. – Elle n'a aucune raison de lui mentir. Elle aurait pu le faire s'il l'avait laissé faire. Bon, elle n'est pas sûre qu'elle en serait sortie totalement indemne mais au moins, elle aurait réussi. Parce que ce mec, il ne s'attendait pas du tout à que la mignonne petite fille essaye de le faire. S'enfuir, c'est normal. Mais attaquer l'est beaucoup moins. – Des devoirs ? T'es marrant Mordry. Non. Mais je vais rentrer mais vu que t'es gentil, je reviendrais te voir. T'es d'accord, hein ? »

Elle ne fait même pas attention à sa proposition et elle ne cherche pas à savoir s'il est d'accord pour qu'elle repasse au cirque. Après tout, elle est grande, elle fait ce qu'elle veut et il n'a rien à dire là-dessus. Bon d'accord, un peu. C'est quand même de lui et de son boulot qu'il s'agit. Donc théoriquement, il a le droit de refuser. Mais à quoi bon, elle n'écoute jamais personne après tout. Sinon, elle ne serait sûrement pas là, dans cette ville pourrie loin de sa ville natale à parler une langue bizarre. Elle lui fait un signe de la main en se dirigeant vers la sortie du cirque. Bon, maintenant, elle n'avait plus qu'à rentrer chez elle, ou passer au bar pour boire un coup et taxer des cigarettes à des mecs pas trop cons. Voilà une superbe soirée qui s'annonce, franchement, elle allait s'amuser.