Et sinon, la ponctualité, ça pourrait pas devenir une qualité chez les rebelles ? [PV June]

L'ombre se faufila jusqu'aux escaliers de service. Il venait de faire presque une heure de trajet, et il n'avait pas à déplorer d'incidents majeurs. Quelques regards blasés se sont portés sur lui à sa montée dans un métro bondé, mais rien de plus. Il avait cette fois échappé aux contrôles d'identité qui, avouons le, étaient sa bête noire. Il grimpa rapidement les marches, prenant garde de ne pas faire trop de bruit, car, avec ce genre d'escaliers, on a vite fait de se faire repérer. En quelques minutes, il arriva sur les toits du quartier. Et même si la police se targue de contrôler et d'avoir sécuriser la ville, il reste encore et toujours des coins propices aux trafics. Si on les empêche de travailler sur la terre ferme, ils creuseront ou s'élèveront. Simple logique. Étrange que Kira, ce Dieu omniscient et bienveillant n'ait pas encore capté qu'avec ou sans lui la clandestinité aurait toujours une longueur d'avance sur la société.

La grande silhouette marcha quelques minutes encore, loin du sol, reliant parfois deux immeubles par des sauts que beaucoup qualifieraient de suicidaire, mais que voulez-vous, il faut bien s'adapter à son environnement. Si on oublie la peur, alors rien n'est vraiment impossible avec l'entraînement. Il arriva bientôt sur le toit d'un grand centre commercial. Le point de rendez-vous. Il avait deux minutes d'avance sur l'horaire prévu. Il espérait juste qu'on ne lui aurait pas envoyé un bleu qui trouverait le moyen de leur causer des problèmes. Déjà qu'il ne devait normalement pas s'occuper d'un convoyage d'aussi petite envergure, il n'avait pas le moins du monde envie de se jouer la vie à cause du manque de professionnalisme de quelqu'un.

Il tira de sa poche un paquet de cigarettes, en glissant une entre ses lèvres. Normalement, les journaux illégaux, c'était pas lui qui gérait. Il avait passé l'âge de ces conneries, et puis, c'était quand même pas un boulot de grande envergure. Faut croire qu'il était toujours le seul à accepter les remplacements merdiques. Fais ça pour la culture, lui avait clamé Alcibiade. Et comme un imbécile, il avait accepté. Il regarda sa montre. Il était en retard. Il alluma sa cigarette. Foutue journée.

« Si il arrive sans flics au cul, j'aurai du bol... »maugréa le géant, en s'adossant à une cheminée servant à l'évacuation de la climatisation.

Il retira sa capuche, laissant apparaître sous son bonnet grisonnant, quelques mèches de cheveux d'un bleu électrique. Pourtant, le lieu de rendez-vous était bien ici, qu'est-ce que foutait l'autre ?!

La journée avait été quelques peu agitée. Le temps qu’il lui avait fallu pour relier le bâtiment du Cavalier Noir au lieu de rendez-vous lui avait semblé interminable. Illness, Illness, pourquoi avoir choisi un endroit si loin ?

Enfin. Une fois arrivée à bon port, elle descendit lentement la rue qui menait au point de rendez-vous, ce toit d’un centre commercial, avec une idée précise de par où elle grimperait. Son calepin dans les mains, elle lut les quelques mots griffonnés à la hâte, le rangea et se dirigea vers une ruelle plus haut sur l’avenue.

L’endroit était étroit et sombre. C’est à tâtons qu’elle trouva l’échelle coulissante dont elle attrapa le dernier barreau afin d’en forcer la descente, dans un grand bruit métallique. Heureusement, cela n’attira que peu l’attention ou du moins, elle eut le temps de se hisser tout au sommet et de remonter l’échelle avant que quelqu’un ne le remarque.

Une fois sur le toit, elle repéra un peu plus loin le toit visé, s’approcha du bord. Les deux immeubles étaient assez près, elle passa simplement le pied sur l’autre et continua sa course jusqu’au point désiré.

Elle était légèrement en retard, mais elle prit le temps de réajuster sa veste et de poser son capuchon sur ses cheveux blonds.

Au dernier immeuble avant le centre commercial, elle descendit sur le mur, accroché au rebord, afin d’attraper l’échelle sur le mur du bâtiment. Et lentement elle remonta. C’était le point le plus critique de sa traversée, sûrement le plus surveillé. Mais elle s’en était apparemment sortie indemne.

Elle remonta alors lentement et une fois les pieds sur le toit, elle soupira, abaissa sa capuche et regarda l’homme qui était déjà là.

« Désolée pour le retard. »

Elle s’avança et tendit la main.

« June May. »

C'était terrible. Franchement, il l'avait repéré depuis deux cents mètres. Sincèrement, elle comprenait pas quoi dans « discret et ponctuel » ? Non, mais où est-ce qu'ils allaient les chercher ces rebelles à deux francs six sous ? Il sentait les ennuis arriver avec cette fille. Il tira une dernière latte sur sa clope, énervé. Le mégot finit écrasé sous ses rangers. Un minuscule objet écrasé par un pied gigantesque.

Il s'avança vers le point où devait arriver son collègue. Enfin, sa collègue vu sa démarche. Il l'attendit, bras croisés. Elle allait passer un sale quart d'heure. N'importe qui d'autre serait parti depuis déjà cinq minutes pour ne pas risquer sa peau. Mais lui avait patienté. Il était trop gentil. Cela le perdrait. Son regard noir se posa sur la fillette. Froid, glacé même, franchement pas rassurant. Puis son regard se posa sur sa main. Remonta ensuite jusqu'à ses yeux. Ses bras ne se décroisèrent pas. Il resta immobile et silencieux. Puis après quelques secondes, ses lèvres s'entrouvrirent.

« Je me fous de ton nom. Je me fous de ton excuse. Tu as exactement six minutes de retard. Assez pour que l'on se fasse choper par la police. Alors t'as intérêt à me refiler rapidement la marchandise, parce que ma patience a des limite. »déclara-t-il d'une voix glaciale, et catégorique.

Il n'avait pas que ça à faire de risquer de se faire repérer. C'était pas trop son kiff de devoir se jouer la vie pour échapper à un escadron de flicailles. Il était même très heureux quand il pouvait s'en passer. Alors il ne cachait pas son mécontentement. On lui refilait vraiment des missions de merde. Tout simplement.

« D'autant plus qu'avec la discrétion dont tu as fait preuve, d'ici dix minutes, l'endroit sera rempli de flics. Alors remue toi. J'ai pas que ça à faire. »

Il ouvrit le sac qu'il avait sur le dos, attendant que la gamine lui transmette la marchandise. Cela fait, il n'aurait plus aucun état d'âme à la laisser dans la merde. Quoique, elle aurait été capable de lui attirer des problèmes en le décrivant à la police. Alors en prime, il allait devoir faire gaffe à elle/ Il était dans la résistance, bon sang, pas dans une œuvre de charité proposant des baby-sitting ! Qu'elle retourne à la crèche au lieu de jouer aux grands ! Depuis quand on les recrutait aussi jeune et stupide ?

« Si des flics arrivent, tu fais exactement ce que je te dis, okay ? T'es une bleusarde hein ? Putain, pourquoi j'ai accepté ce foutu remplacement. Je suis sûr que tu vas nous avoir foutu dans la merde. »reprit-il d'un ton légèrement moins glacial, mais toujours autant agacé.

Il remit par précaution la capuche noire sur sa tête, son instinct flairant les problèmes en approchent...

« Oh mais, pardonnez-moi, ô Môssieur, de vous avoir fait patienter si longtemps, j’en suis terriblement désolée. » dit-elle, en haussant un sourcil, ironique.

Elle fit descendre de son épaule son sac à bandoulière, l’ouvrit et transmit ce pour quoi elle était venue jusqu’ici à l’autre débile profond qu’elle venait de rencontrer.

« T’as peur des flics ? Ca m’parait illogique venant d’un rebelle. En fait, t’as sûrement plus de chances de te faire coincer que moi. Retraite-moi de bleusarde, et je jouerai la pauvre petite femme qu’on a essayé de kidnapper auprès des keufs. »

Elle lui lança un sourire narquois. Genre. Moi j’ai l’air normale, moi je peux me le permettre. Toi t’as l’air d’un méchant, ahaha. Elle referma le sac, le remit sur son épaule. Elle passa une main dans ses cheveux blonds.

« Décidément. T’es arrivé par où ? Parce que si j’ai pas été « discrète » mais que t’as grimpé par l’autre côté, ben, c’est là-bas que t’as le plus de mecs qui peuvent te coffrer. J’dis ça, j’dis rien, hein. Faudrait se renseigner sur les lieux où on opère avant de se ramener avec sa morale à deux balles. » ajouta-t-elle sèchement. « On est tous les deux dans la merde, donc soit on part chacun de notre côté, et tu es le seul à te faire avoir parce que c’est toi qui a l’air louche, soit on fait équipe le temps de déguerpir. Tu sais jouer la comédie ? »

Le meilleur moyen de ne pas se faire avoir ? Avoir l’air normal et jouer de ses charmes. Dans le monde des rebelles, ben, ça marche pas. Mais dans le monde de Kira, celui dans lequel ils évoluent tous, oui, il faut pouvoir passer inaperçu. Et ça, June savait y faire mieux que personne.