Whispers in the dark

Noa marchait joyeusement dans les rues de la capitale. Elle sortait d'un bar des bas-fonds où elle passait une bonne partie de ses soirées puisqu'elle savait qu'elle pouvait y trouver des informations assez fiables et une bière qui lui rappelait sa jeunesse en Angleterre. Autant dire que ça avait tout pour plaire. Mais ce soir-là, il était encore tôt, du moins pour la criminelle qui ne dormait jamais vraiment beaucoup et encore moins en pleine nuit. Mais là, elle avait enfin eu le renseignement qu'elle cherchait à avoir depuis pas mal de temps, quelque chose qui n'avait pas été facile malgré les efforts des piliers de bars qui tentaient de souvenir de quelque chose sous la menace. Elle avait enfin plus ou moins l'endroit où se terrait un criminel qui, à ce qu'on disait, était encore plus jeune qu'elle. Et quand on a juste seize ans, ce n'est pas rare.

Bien sûr, au départ, elle avait hésité à aller à sa rencontre, puis la curiosité avait un peu pris le dessus et finalement, c'était sa rencontre avec Sicarius qui l'avait motivée à chercher ce garçon. À elle seule, elle doutait qu'elle n'arriverait pas à faire autant de bruit qu'elle le voulait. Il lui faillait quelqu'un, pas forcément pour l'aider, elle n'en avait pas besoin, mais pour endosser une sorte de rôle, ou quelque chose comme ça. En fait, elle ne savait pas très bien ce qu'elle voulait, surtout qu'après la mort de son frère, elle s'était promis de toujours rester seule, et de ne plus faire confiance à personne. Après, dans ce cas-là, personne ne parlait de ça. Criminel est un métier où on ne peut avoir confiance qu'en soi. Tonton Sicy lui avait même rappelé. Mais il faudrait être fou pour penser que Noa ferait une erreur pareille. Elle avait trop de respect dans les anciennes règles qu'elle et son frère avaient mises en place pour se protéger des autres.

Puis en réalité, elle en avait un peu marre d'être seule. Ça devait faire un an maintenant, et la présence d'une personne avec elle lui manquait. Elle avait passé quinze ans de sa vie avec une quelqu'un pour la perdre en une seconde. Au fond, elle avait raison de ressentir une sorte de manque. C'était humain, et même si elle essayait tous les jours de se prouver le contraire, elle en restait quand même une. Elle arrivait vers les ruelles où était censé être le garçon. Elle espérait vraiment ne pas l'avoir raté. Une personne pareille ne doit pas avoir d'endroit fixe, d'ailleurs c'est pour ça qu'elle avait mis tant de temps à le retrouver. Ce soir serait peut-être sa seule chance avant longtemps. C'est triste à dire, mais les informations ne circulent pas aussi vites qu'on le voudrait dans les bas-fonds.

Et là. Elle le vit. En fait, ça ne pouvait qu'être lui et pas quelqu'un d'autre. Elle resta quelques secondes dans l'ombre à le regarder, cachée grâce à l'intersection des ruelles. Déjà parce qu'il était jeune. Enfin, pas tant que ça si on le comparait à elle. Il devait avoir juste un ou deux ans au maximum de moins qu'elle, mais c'était déjà ça. Et puis, il était en train de manger un cadavre. Très intéressant tout ça. Un vrai taré quoi.

« C'est toi alors, le gamin aux crochets. »

Oui, c'était avec ce nom-là qu'elle en avait entendu parler pour la première fois. Au départ, ça l'avait interpellé. Qui est assez bizarre pour tuer avec des crochets. Et d'ailleurs, comment pouvait-on tuer avec des crochets. Quoi qu'en voyant sa tenue, elle comprenait un peu mieux. Très spéciale.

Elle sortit alors de l'endroit où elle était, une cigarette à la main. Elle sourit alors tranquillement. Pour ce qu'elle en voyait, ce gosse était très intéressant. Bien sûr, certains lui avaient dit de se méfier de lui, ce qui ne faisait aucun doute. Ça se voyait qu'il était dangereux.

« Moi c'est Noa. »

Court. Simple. De toute façon, elle n'avait jamais aimé se présenter.

Elle se rapprocha un peu de lui avant de s'adosser au mur. Elle n'avait que moyennement confiance pour être proche de lui. C'était logique. Mieux valait ne pas trop s'approcher d'une personne avec des tendances cannibales tant qu'on n'avait pas la certitude qu'il ne nous mangerait pas.

Mis à part le cannibalisme qui était quand même quelque chose à ne pas prendre à la légère, le garçon n'avait pas l'air affolant. Enfin, pour Noa. Une autre personne aurait considéré qu'un criminel aussi jeune était la chose la plus affolante au monde, mais c'était simplement l'héritage qu'ils avaient tous tiré de ce dictateur de Kira. C'est bien connu, les jeunes ont un goût beaucoup trop prononcé pour l'interdit. Alors quoi de mieux dans le monde actuel de tuer tous les partisans de Kira qui passent ? En plus, il fallait bien qu'il en reste. Tous les vieux étaient morts maintenant, simplement parce qu'avant, le nom n'était pas la chose la plus précieuse et secrète qu'on devait avoir.

Le garçon lui fit alors l'honneur de relever la tête de son repas. C'était pas mal. Au moins, elle avait réussi à capter son attention et c'était important pour la suite. La suite. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait là en fait. Bien sûr, elle en avait marre de travailler seule, elle voulait quelqu'un avec elle, mais proposer ça à une personne qu'on ne connaît pas ce n'est pas forcément la chose la plus simple au monde. Surtout qu'elle n'avait pas de raisons concrètes de le faire. Elle se débrouillait très bien toute seule pour survivre, pour avoir des contrats ou des formalités dans le genre. Et en plus, elle n'avait aucun argument pour, ou même contre. Elle avait juste saisi l'occasion en entendant parler d'un autre adolescent.

Elle aimait bien cette façon de présenter. Elle était simple, courte, mais facile à comprendre dans n'importe quelle situation. Mais après avoir vidé le bar d'une maison où l'on venait de rentrer par effraction c'est tout dire. C'est d'ailleurs pour ça qu'elle l'avait adopté très jeune, quand elle avait encore l'occasion de faire toutes ces choses irréfléchies en compagnie de son frère et de son ancienne bande d'amis. Agito. En tout cas, c'était spécial comme prénom. Mais après, tous les prénoms l'étaient, et elle n'était pas sûre que Noa soit très classique.

Pour ce qu'elle pouvait en voir, elle l'appréciait déjà ce garçon. Dans sa manière de parler qui était très directe entre autres. Au moins, il disait ce qu'il pensait, et ça, ça lui plaisait beaucoup. Elle lâcha son mégot sans prendre la peine de l'écraser, puisque de toute façon elle ne pourrait pas mettre le feu dans une rue bétonnée, alors à quoi bon se donner cette peine, puis elle sortit son paquet de cigarettes pour en sortir deux. En même temps, elle s'était rapprochée du garçon. Elle avait beau toujours se méfier des inconnus, elle avait confiance en ses capacités pour la sortir de là au cas où. Elle lui en tendit une avec le briquet quand elle eut fini d'allumer la sienne.

« T'es célèbre par ici, tu sais ? Enfin, même si y'a personne qui sait qui t'es. Donc on t'appelle comme ça. »

Elle marqua une pause et regarda le reste du repas du garçon. Impressionnant. Comment pouvait-on tomber dans le cannibalisme ? Il fallait avoir un sérieux problème mental quand même. En tout cas, juste pour ça, elle savait qu'elle ne s'était pas trompée en le cherchant pendant presque un mois.

« Et ouais, je t'ai cherché. J'voulais voir si t'étais aussi jeune qu'on le disait. J'vois que des gens plus vieux, c'est chiant. »

Là par contre, elle ne savait toujours pas comment aborder le sujet. Dire à une personne qu'on ne connaît pas qu'une alliance serait intéressante, c'est pas simple. Surtout qu'on entendait trop parler de criminels qui finissaient pas s’entre-tuer dans ce genre de situation. Et pourtant, elle était sûre que ça pouvait être très intéressant. Du coup, peut-être qu'elle devrait attendre un peu avant de lui parler de ça. Déjà, elle l'avait trouvé, ce qui était une grande avancée, il ne fallait pas être trop pressé, ça pouvait devenir trop dangereux.

Exit light
Enter night
Take my hand
We're off to never never-land

On lui avait dit que ce garçon était bizarre, qu'elle ne devait pas partir à sa recherche. On l'avait prévenu qu'il était fou et qu'elle risquait sa vie s'il était de mauvaise humeur. Mais sa vie, il ne lui prendra pas, ça jamais. Du moins, pas tant que Kira n'est pas mort et que les victimes de ce dictateur soient vengées. C'était sa façon de penser, et la promesse qu'elle avait faite. Elle sourit. La soi-disant folie d'Agito l'avait intrigué pendant plusieurs jours et elle rêvait d'en découvrir plus. Beaucoup plus. En tout cas, il était différent. Curieux. Les jeunes ne l'étaient plus dans l'époque actuelle. Elle avait toujours trouvé ça triste, mais c'était encore pire que ça.

« Dans les bars des bas-fonds. Ailleurs, les gens n'osent pas parler, ils n'osent même pas imaginer ce qui se passe, you know. Disgusting. »

Et il était bavard. Encore une autre caractéristique qui plaisait autant qu'elle étonnait Noa. Elle n'avait plus trop l'habitude d'entendre des gens lui parlait – à elle et à elle seule – autant. D'habitude, les gens n'osaient pas lui adresser réellement la parole. Elle s'était tellement battu pour être respectée qu'elle a fini par inspirer un sentiment, mélange entre la peur et la haine. Pourtant, des fois, elle participait aux conversations. Mais c'était différent. Là, elle était seule avec son interlocuteur. Les rares fois où une situation du genre arrivait, celui avec qui elle parlait finissait soit mort, soit assez amoché pour qu'elle décide de le laisser souffrir là, sans lui donner le coup final. C'est avec des survivants qu'on créé des rumeurs, c'est bien connu.

Elle rigola. Les criminels d'ici. Quels criminels ? Ils n'étaient plus très nombreux, ça tout le monde le savait depuis l'arrivée de Kira au pouvoir. Mais la plupart qui restait se contenter de se cacher, aller boire pour oublier leurs peurs, et se contenter de tuer cinq à six personnes dans l'année. Noa les connaissait ses personnes répugnantes dont elle adorait se moquer. Oui, il avait raison elle n'était pas comme eux. Comment aurait-elle pu ? Ça aurait sali – bafoué – la mémoire de son frère bien-aimé. Bien sûr, il restait des gens comme lui, ou comme Tonton Sicy, qui continueraient toujours. Des fous, des malades mentaux. Appelé de cette façon, ça ne laissait aucun doute sur les raisons de cet acharnement.

Pourquoi elle était là ? Des fois, elle ne le sait plus elle-même. S'allier, faire bouger les choses. Elle seule ne pouvait pas une telle chose. Elle ne savait même pas si à deux il ne pouvait. Peut-être un peu plus mais pas suffisamment. Mais il ne fallait pas abandonner, ils trouveraient bien un moyen.

« Je viens te proposer quelque chose. Une sorte de coopération. Pas que j'en ai besoin mais ça peut nous permettre de faire plus... Plus qu'on peut le faire seul. »

Et elle ne voulait plus être seule. Mais ça, elle ne l'avouerait jamais. C'était son secret, tout comme son passé. Elle bloqua lorsqu'elle l'entendit se parler à lui-même, avant de se rependre sans laisser passer la moindre expression, se contentant de finir sa cigarette pour en reprendre une autre. Une sale habitude qu'elle avait prise. Mais de quoi parlait-il. Son cœur se pinça quand elle entendit le mot frère. Ce mot était tabou pour elle depuis combien de temps déjà ? Il avait un frère. Un frère vivant. Et il osait le détester. Habituellement, Noa s'interdisait de juger quoi que ce soit. Mais là – là maintenant tout de suite – on lui demandait de répondre à une question qui comportait ce mot, alors qu'elle ignorait tout.

« Un frère ? C'est cool écoute. Je m'en fiche que tu en aies un. Jamais je n'accepterais un contrat aussi con. Envoyer des tueurs à son frère. Stupid. »

Un frère, c'était bien trop sacré pour qu'on veuille le tuer. Des frères, c'était censé se protéger jusqu'à la mort.

Sauf que tout ce qu'il racontait était totalement faux. Noa le savait. L'amour fraternel ne pouvait pas ne pas exister. C'était la plus belle chose qu'il existait sur terre, et tout le monde en était témoin. Alors comment pouvait-on être cruel au point de traiter la personne qui est censée être la plus chère à son cœur de la façon décrite par Agito. Impossible, ça l'était totalement.

« Bien sûr que je peux. »

Mensonge. Mais elle n'avait pas vraiment le choix. Déjà, elle ne pouvait pas se défiler devant le garçon, et plus important, cet homme – le frère en question – méritait une mort lente et douloureuse. C'est la seule chose qu'elle arrivait à se dire alors que les paroles qu'il avait prononcées passaient en boucle dans sa tête. Comment pouvait-on rabaisser quelqu'un au statut de jouet ? Elle avait beau être une criminelle qui n'avait aucune morale quand il s'agissait de tuer quelqu'un, là, ça la dépassait totalement. Elle devait comprendre puisque de cette façon, elle aurait un avantage pour les événements à venir. Comment ou pourquoi, ce n'était que des détails sans grande importance pour l'anglaise.

Sorry Arthur.

En allant à la rencontre de ce fou furieux – il ne fallait pas se mentir, ça se voyait que s'en était un beaucoup plus dangereux qu'elle – elle n'aurait pas imaginé une seule seconde se mettre dans ce genre de situation. Mais c'était les aléas de la vie. Seulement, son propre frère n'aurait pas accepté, il ne faut pas rentrer dans ce genre de problème. Mais c'était trop tard maintenant. De toute façon, il était mort, et plus là pour la juger. Elle pouvait agir comme elle le voulait, à condition de le venger.

Elle sourit en entendant la réponse positive. Enfin, les choses allaient avancer. Et enfin, elle n'allait plus être seule, la bande de piliers de bars complètement stupides n'entrant pas dans la catégorie de personnes à ses yeux. Elle ne fit même pas attention à la demande qu'il avait formulée. L'aider à trouver son frère serait sûrement très facile. Elle n'avait qu'à passer par plusieurs personnes pour qu'on ne se doute de rien, surtout qu'elle commençait à avoir une réputation suffisante dans le métier malgré son âge pour que personne ne trouve ça louche. Et puis, personne ne connaissait les motivations et les recherches du « garçon aux crochets » sauf elle maintenant.

« Okay. Ça va pas être très difficile, il suffit de connaître les bonnes personnes, donc je m'en occupe. Et je reviendrais te voir. Tu n'es pas si difficile que ça à trouver de toute façon alors... Take care. »

Sa façon de tuer était tellement original qu'elle attirait tout de suite l'attention. Surtout qu'il n'y avait pas d'autres cannibales dans les bas-fonds, sauf peut-être Sicarius, même si celui-ci n'avait pas l'air d'être aussi atteint qu'Agito à ce niveau-là.

« Goodbye Agito. »

Noa ralluma une cigarette et s'éloigna. Elle avait enfin eu ce qu'elle voulait depuis longtemps, ce n'était pas trop tôt. Comme quoi, il suffisait d'être un peu patient.

And goodbye my friend ?