La complainte du briquet [Dantallion]

Je déteste faire les courses, c’est une vraie plaie. Dans ce foutu supermarché, j’utilise toujours mon casque de moto comme sac de courses. C’est pratique mine de rien même si on ne dirait pas.
Mais bon, ça n’empêche pas que j’aime pas être ici. C’est tout étiqueté, rangé, aligné,… il y a de quoi me donner envie de renverser toute une étagère rien que pour que ça ai l’air plus… naturel ? C’est vrai quoi ! Il n’y a jamais de trucs bien rangés dans la nature que je sache ! Regardez les flocons de neige, c’est beau et tout. Mais c’est jamais symétrique comme dans les dessins animés. Ça ment toujours les dessins animés aussi. J’ai jamais aimé ça, les dessins animés. Il faut dire que j’avais jamais eu de télé quand j’étais môme et la première fois je devais avoir 16 ans alors comprenez que je trouvais ça stupide comme invention… enfin soit, j’ai le don de me perdre dans mes pensées quand je ne veux pas penser à quelque chose de désagréable… comme faire ces foutues courses !
Bon, pas de chocolat pour monsieur sinon il va penser à Mello et c’est pas cool. Note, ça fait longtemps que j’ai graillé une sucrerie du genre. J’avais du chocolat Belge dans mes stocks quand je faisais encore de la contrebande. Et je ne dirais pas deux fois que ça vaut un joli paquet ici. Mais bon, ces foutues restrictions pour passer dans le camp rebelle m’ont fait disparaître ce joli petit luxe. Enfin, j’ai échangé ce luxe contre un peu d’action, c’est pas plus mal. Blue n’aurait surement pas aimé mais il n’est plus là. Puis sans action, je m'empâte moi...
Je ne sais même pas trop pourquoi j’ai fait ça mais j’ai finalement pris une tablette de chocolat blanc. Le « rebelle mal apprécié » de Hadès ne mange que du noir si je me souviens bien donc il ne fera pas trop de rapprochement.

Je finis par passer à la caisse. Je remarque que j’ai plus de conserves qu’autre chose. Il faut dire que si je dois faire la cuisine sachant que je fais déjà les nounou-infirmière-psychologue pour lui, il ne faut non plus pousser l’affaire trop loin. Les raviolis en boîte, les sachets de nouille instantanées, les carottes, tomates, petits pois et maïs toutes cuits en conserve,… ça va faire lourd dans la moto mais bon, si j’ai pas d’accident, ça va.
Je sors la monnaie (oui, pas de carte pour éviter d’être tracée, ce serait stupide de ma part) et je quitte cet infâme centre de bourrage de crâne publicitaire trop bien rangé. Je soulève le siège de la moto, je mets le sac dedans et me voilà partie.
Je retiens la voiture bleue qui a démarré en même temps que moi du parking, on est jamais trop prudente…

Mais je crois au final que j’ai fait ce qu’il fallait faire… Elle a l’air de me suivre. Détours à droite, détours à gauche, petite pointe sur le périphérique… elle est encore là. Mince, on risque de se poser des questions si je traîne trop, quelle plaie !
Bon, je finis par m’arrêter là où ça pourrait paraître normal pour une motarde en cuir comme moi. Je me range entre deux voitures près d’un bistro mal fréquenté bien que l’on soit en milieu de matinée. Le billard est déjà occupé par les chômeurs habitués. L’odeur de cigarette est omniprésente. Cela me rappelle ce doux manque de nicotine qui me titille la gorge.

Une main posée sur le bar, je demande un café, bien serré et deux sucres. Je conduis quand même, pas de folies aujourd’hui. Puis je vais m’installer sur une table, seule. En regardant dehors, je ne vois pas de voiture bleue. J’ai soit pu le semer, soit il a garé le véhicule plus loin. Je crois que je vais rester une heure ou deux ici avant de repartir si personne ne rentre dans le café d’ici là… Dans le doute, j’ai toujours mon magnum dans la doublure de ma veste un peu trop grande. Si Hadès est pas au courant, ça ne peut pas être trop trop grave…
Je sors de ma poche mon paquet de cigarettes et en pose une sur le bout de mes lèvres. Puis je cherche mon briquet dans l’autre poche… mince… je crois qu’il a du tomber pendant ma pointe de tout à l’heure… quelle plaie !
Oh je dois bien en avoir un dans une de mes autres poches nan ?

 

Je fixe l’entrée, quelqu’un approche du bar. Un brun avec une veste en cuir entre finalement. J’en fais une brève description mentale. Je dirais qu’il a la quarantaine, un type friqué vu les clés de Mercedes qu’il range dans sa poche. Il a une sacoche marron (sûrement de l’imitation cuir) qui pourrais cacher n’importe quoi. Si ça tombe, il pourrait cacher le même fringue que celui dans la doublure de ma veste. Les cheveux courts et mal rasé, il n’a pas la tête d’un type avec qui on fait des gâteaux.
Je garde ma cigarette au bec, bien que éteinte, et range mon paquet dans ma poche gauche. Oui, tout le monde a ses petites habitudes et j’ai les miennes.

Il m’a repérée et prend même le risque de s’asseoir à côté de moi. Combien vous pariez que ça ne va pas finir en baston ? Mon café arrive, comme je l’avais demandé. Voilà que l’autre commande la même chose. Bon, rester cool, la guerre est pas encore déclarée façon… rester… cool et calme…
Il remarque ma clope éteinte. Je prends une première gorgée de cet élixir de réveil.

- Quitte à faire quelque chose de constructif, t’as pas du feu ?

Il sourit. Bah, il a les dents à moitié défoncées le type, c’est presque gore là- dedans. Je crois que je peux en dire qu’il a l’habitude de bâtonnet, pas bon ça… Mais il se décide à sortir un briquet pour l’allumer dans ma direction. Temps avant la tempête, je dirais quatre minutes. La première bouffée me fait un bien fou. Pour vous dire, j’en avais envie depuis ma pointe sur le périphérique.
Je finis rapidement mon café. De toute façon, j’aurais encore de quoi faire chez moi avant de pouvoir pioncer comme il faut. Trois minutes. Seconde bouffée de cigarette. Je commence à visualiser la situation de façon calme. La légère obésité du monsieur me laisse croire que j’aurais un avantage certain pour une course à pied. Si je peux l’amener dans une ruelle tranquille pour m’en débarrasser, ça devrait le faire. Seul soucis, je suis dans un angle de la pièce, le type me barrant le passage le plus rapide jusque la sortie. Je peux toujours m’en faire une en brisant une vitre mais bon, bonjour la discrétion…
Deux minutes… le seul soucis étant mon issue de secours directe, je vais devoir lancer une petite diversion si besoin
Une minute…

- Tu sais que t’es foutue ma mignonne. Aller... si tu me suis sans trop faire l’histoire, je ferais en sorte qu’on ne te casse pas trop de membres avant de te...

Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, je lui plante le mégot à peine entamé dans l’œil droit. Je profite de son cri d’agonie-angoisse-douleur pour sprinter vers la porte. La lumière d’un rayon de soleil m’aveugle un instant avant que je ne repère une ruelle sur le côté. Je fonce, passant devant une voiture qui faillit bien m’écraser sur le coup. Heureusement ça n’a pas été le cas. On me klaxonne au passage en même temps que j’entends un beuglement au niveau de la porte d’entrée du bar. Tout s’accélère.
Je m’approche de la ruelle. Sur le trottoir, un homme me barre la route avec ses sacs de courses. Je crie à son intention.

- ‘tention ! Je passe !

Sans lui laisser le temps de demander quoi que ce soit, je l’esquive de justesse avant de m’engouffrer dans la petite ruelle. J’entends d’ailleurs l’homme esquivé tomber en même temps que le sinistre individu pousse un juron. J’espère que j’ai tord mais il m’a semblé qu’ils sont plusieurs. La mouise…

J’allais tourner à l’intersection quand un autre type style armoire à glace qui m’attendait là me planta un poing gros comme un melon dans mon ventre. Ah la vache, ça fait mal…

- Il a parlé, il doit crever. C’est logique non ?

C’est donc pour Hadès qu’ils sont là. Eh bien, je crois qu’ils sont tombés sur la mauvaise personne à faire parler. Me redressant, je lance un bon coup de pied entre les jambes avant de la contourner et continuer ma course.
Ma bécane, je dois chopper ma bécane… Mais combien ils sont ? Si il y en a un qui attend près de ma bécane, ou pire, qu’il l’a endommagée, je ne descends… direct. Il me semble que j’entends les bruits de pas derrière moi. Un seul cours… l’autre balourd ne doit pas traîner bien loin… Mince, moi qui avait promis de ne plus utiliser mon magnum, je crois que c’est rapé.
Il me semble que je commence à semer la personne derrière moi. Je m’arrête à un détour, au coin de la rue. Je déchire la doublure de ma veste pour en sortir mon arme. Alors que celui derrière moi allait passer le détour, je me jette sur lui, le planquant au sol. Une sol à terre, je pointe le canon sur son front.

- T’as 5 secondes pour me dire qui t’envoies mec. Et crois-moi, ce ne serait pas la première cervelle que j’expulserai d’un crâne….