De citation en citation... [libre]

Matt regarda l'horloge qui s'affichait sur l'écran de son ordinateur. Vingt-et-une heures passée. Et dire que s'il n'avait pas ces petits chiffres pour lui indiquer à chaque minute l'avancement de la journée, il aurait perdu toute notion du temps depuis longtemps. Il avait passé une bonne partie de sa journée à jouer dans le noir presque total. Bien sûr, ses fameuses lunettes un peu bizarres ne servaient pas qu'à cacher les cernes mais à protéger ses yeux de l'agression violente qui provenait des écrans posés devant lui. Au moins, il leur évitait une fatigue supplémentaire. Mais maintenant, il était un peu trop tard. Il avait un truc à faire et il était préférable de ne pas arriver en retard. Il éteint sa console et tous les gadgets électroniques qui se trouvaient dans sa chambre. Il ne devait pas être en retard, et avait en plus à passer chez un tabac pour refaire le plein en cigarettes. Il attrapa son paquet à moitié vide – oui, quand il s'agissait de sa nicotine adorée il était du genre pessimiste – ainsi qu'une de ses consoles portables, celle qu'il avait mise en charge dans l'après-midi en vue de sa sortie. Il soupira en fermant sa chambre à clef pour que personne n'y entre. Il n'avait que moyennement confiance en cette bande de mafieux balourd dont Mello se servait.

Il se dirigea vers l'endroit où il avait laissé la moto qu'il utilisait habituellement pour ses déplacements. Elle était discrète et très banale, rien de mieux pour ne pas se faire repérer. Il monta dessus après avoir rabattu la capuche de son pull sur ses cheveux. Il ne faisait pas spécialement chaud ce soir, mais il fallait avouer qu'être roux avait le désavantage de ne pas passer inaperçu. Après avoir lâché le mégot de la cigarette qu'il avait allumée en parcourant le couloir, il démarra. Première étape, un vendeur de tabac des bas-fonds. Un petit endroit tranquille et très discret. De toute façon, le patron en avait fait son unique loi. Le reste, des arnaques en tous genres, il s'en fichait totalement. Mais il fallait le faire avec une discrétion à toute épreuve. C'est pour ça que Matt allait toujours là-bas. Deuxième étape, un commerce de la vieille ville spécialisé dans les jeux vidéos. Mais attention, pas que ceux sur lesquels Kira avait de l'influence, c'est-à-dire les jeux qui étaient sortis depuis qu'il était au pouvoir. Non, ce magasin possédait une collection assez importante de vieux jeux qu'il revendait à des clients de confiance dont le roux faisait partie. C'est pour cela qu'il faisait l'effort quasiment surhumain de se déplacer aussi loin de sa chambre sans que Mello le lui ordonne.

Arrivé là-bas, il récupéra sa commande. Là encore, tout se passa de manière très discrète. En même temps, c'était préférable d'agir de la sorte. Le couvre-feu était passé, Matt n'était pas spécialement apprécié de la Sphère Divine et la consort qui s'occupait de la culture risquait de ne pas apprécier la présence de ces magnifiques jeux. Et pourtant Matt les aimait déjà. Il s'alluma une cigarette en rangeant ses précieuses boîtes dans la sacoche accrochée à l'arrière de sa moto. Que tout se passait bien. Quelle journée magnifique. Quand il pensait que dans une trentaine de minutes il serait de nouveau enfermé dans sa chambre, il était presque triste. Presque. C'est pour cela qu'il prit le chemin du parc. À cette heure-ci, il devait être vide, et il pourrait tester un de ses nouveaux jeux sur la console qu'il avait amenée avec lui. En vérité, il avait tout prévu. Il aimait bien de temps en temps – mais cela restait très rare – passer un peu de temps à l'air frais. Dehors. Un geek qui sort de chez lui, quelle ironie.

Il entrait tranquillement dans le parc, à la recherche d'un banc dans un endroit tranquille quand il assista à une scène comique. Une fille qui se rétame comme un clown le ferait pour amuser le public, il y avait de quoi rire. Mais Matt lui ne rigolait pas. Du moins, pas extérieurement. Ce n'était pas son genre, c'était une expression d'émotion beaucoup trop forte de sa part. Il passa à côté de son banc d'un pas lent. Elle avait l'air d'avoir mal. Derrière ses lunettes, il arrivait à discerner ce qui avait l'air d'être une tache de sang. Le pauvre, elle avait peut-être mal. Bien sûr, ça n'importait pas vraiment le roux. Il n'avait jamais été ce qu'on pouvait appeler une âme charitable. Il voulait juste jouer tranquillement mais trop de questions lui venaient en tête. Il avait une impression un peu bizarre, en la voyant. Peut-être parce qu'il n'avait pas vraiment l'occasion d'échanger avec quelqu'un au QG de la mafia. En temps normal, il évitait la bande qui servait Mello le plus possible. Ce n'était pas sa faute s'il n'aimait pas se mêler aux gens. Il se retourna donc, ayant dépassé le banc de la blonde depuis longtemps, pour aller s'assoir à côté d'elle, sa console qu'il avait allumé à l'entrée du parc à la main. Il leva les yeux vers elle. Avec sa paire de lunettes, il devait sûrement lui faire peur.

« Tu n'as pas trop mal ? »

Il sauvegarda sa partie avant d'éteindre sa console.

Pour Matt, cette fille était forcément bizarre. Il n'y avait qu'à voir comment elle était habillée. Pas que son style le gênait – surtout que dans le côté bizarre, il faisait sûrement pire – mais il fallait être une fille totalement inconsciente pour s'habiller comme ça en sortant alors que le couvre-feu était passé. Ou alors avoir une confiance sans failles en Kira, ce qui l'étonnerait vu que justement elle était dehors malgré le couvre-feu. Bien sûr, il restait la solution qu'elle était championne d'arts martiaux, ou armés et dans ce cas elle ne risquait rien. Mais il ne savait pas si c'était le cas donc n'était pas forcément très rassuré quand il la vit partir seule après avoir rapidement répondu à sa réponse. En temps normal, le roux se fichait un peu qu'une jeune fille sans réelles défenses se balade en ville, quoi qu'il n'aimait pas particulièrement l'idée de ce qui pouvait leur arriver, mais là c'était légèrement différent. Peut-être parce qu'il était de bonnes humeurs grâce aux jeux qu'il venait d'acheter. En tout cas, il n'était pas rassuré. Comme quoi, même lui avait un minimum de conscience. Ou du moins c'est ce qu'il tentait de se faire croire à lui-même.

« C'est rien. »

Il ralluma une cigarette. Il n'allait pas la suivre, c'était loin d'être son genre. Ce n'est pas parce qu'il trouvait son comportement déraisonnable qu'il ferait cette chose totalement débile qui nécessite à s’inquiéter pour même vouloir s'occuper d'une personne. Non, il comptait plutôt sortir du parc, rejoindre sa moto pour rentrer au QG et pouvoir commencer à jouer en priant pour ne pas être interrompu par quelqu'un qui viendrait lui demander encore un travail fatiguant et inutile. Vraiment, quand son travail consistait à se renseigner sur telle ou telle personne, il préférait largement travailler.

Il se leva donc et marcha, pour finalement se retrouver à hauteur de la jeune blonde. Il ne fallait pas qu'elle croie qu'il était en train de la suivre. Ce serait tellement loin de la réalité, mais pour Matt, ce n'était que des choses sans importance.

« Tu ferais bien de rentrer chez toi petite, c'est dangereux. »

Pause. C'est un rêve ?

Matt qui donne un conseil à quelqu'un, ce n'est pas tous les jours que ça arrive. D'habitude, il a tellement l'air blasé, ou entièrement concentré sur ses jeux vidéos, qu'on aurait presque l'impression qu'une personne pourrait décider d'ouvrir une boîte de conserve avec ses dents juste à côté de lui qu'il ne dirait rien. Et avec les hommes de main de la mafia, c'est tout à fait possible qu'une telle situation arrive un jour. Il réajusta ses lunettes sur sa figure. Quelle fille bizarre n'empêche. Ce n'était pas la première qu'il croisait à se balader à des heures pas possibles – en fait c'était plutôt courant dans les bas-fonds – mais il fallait quand même avoir pas mal de courage pour se balader dans un des endroits les plus surveillés de nuit par les policiers de Kira. Il attrapa une nouvelle cigarette de son paquet. Fumer et conduire, ce n'était pas la chose la plus facile à faire, alors autant fumer d'abord, et conduire ensuite. Heureusement qu'il n'était pas trop loin.

Il aurait pu la trouver normal – quoique vraiment très original – mais une des informations qu'elle venait d'énoncer le gênait. Les probabilités de mourir de problèmes de santé, ou de la main de Kira, étaient assez connues pour ceux qui s'intéressaient un minimum à ce genre de détail totalement insignifiant. Mais celle de recevoir une météorite sur la tête, voilà qui n'était pas banal. Il n'avait beau pas trop s'intéresser à cette science, il avait d'ailleurs un peu de mal à approuver que s'en soit une, pour sortir un chiffre pareil, il fallait ne pas être net dans sa tête. En temps normal, il ne se permettait pas de juger la santé mentale des personnes qu'il rencontrait, ayant vécu dans plusieurs orphelinats qui pouvaient vraiment altérer celle-ci. Bien sûr, il n'allait pour pas autant penser qu'elle sortait d'un orphelinat. Elle n'était juste pas banale, sans être folle pour autant.

Gamin. Beaucoup auraient pu se vexer en entendant une appellation de la part d'une fille qui semblait n'avoir que la moitié de son âge. Seulement, Matt ne se vexait jamais pour une chose du genre, même si là, il avait vraiment beaucoup de mal à comprendre le résultat de la blonde. Ce n'est pas comme s'il était petit et avait un visage de gamin. Après, il y avait toujours plus adulte que lui physiquement. Il y avait par contre une seule chose qui le gênait mais qui pouvait expliquer pourquoi il n'avait pas vraiment compris ce qu'elle venait de lui dire. Années d'existence. C'était quoi cette façon de parler ?

« Gamine. Tu ne penses pas te tromper en affirmant qu'on a autant d'années d'existence comme tu dis ? »

Maintenant, elle accélérait. Elle avait peur ? Bizarrement, ça ne semblait pas vraiment possible au rouquin. Il ne faisait pas peur, même malgré ses lunettes qui lui donnait un petit air étrange. Mais le monde actuel était fait comme ça, on se méfie des gens qu'on ne connait pas – sans parler de ceux qu'on connaît – parce qu'ils osent nous aborder dans la rue. Lui qui ne sortait jamais avait tendance à se demander si son comportement aurait été le même. Peut-être pas, ça faisait suspect, du genre qu'on a quelque chose à se reprocher. Vu l'heure, c'était normal. Mais s'il était venue lui parler en plein jour, donc en toute légalité, est-ce qu'elle aurait la même réaction ?

Il se mit donc à marcher un peu plus vite pour la rattraper, histoire de lui faire un peu peur même si elle n'avait rien à craindre, vu qu'il n'était pas vraiment dangereux. Il tiqua. Encore un pourcentage ? Soit elle les apprenait par cœur, soit elle en calculait. Quelle drôle d'occupation, surtout qu'il ne savait pas à quoi ça correspondait. Et puis, il n'avait qu'à demander. Ce n'était pas dans ses habitudes d'être autant bavard mais elle avait réussi à l'intriguer un minimum.

« La probabilité que je sois un Pro-Kira qui t'amène en prison, ou bien celle que je sois un rebelle qui veut abuser de toi. Ou encore, un simple mec non intéressé par la politique qui se balade et qui se fiche de ta présence ? Donc ? »

Là, il y avait peut-être de quoi flipper, mais ce n'était pas de la faute de la faute du geek. Ce n'est pas comme s'il le faisait exprès, il n'avait juste plus trop l'habitude de s'adresser à quelqu'un d'autre Mello et les balourds de la mafia.

Quelle fille intelligente. Beaucoup trop intelligente. Matt avait appris au fil du temps que ce n'était pas toujours un avantage, et il doutait que dans le monde actuel, ça lui rendre toujours service. Il venait d'en avoir une preuve à la seconde. Dans son cas, ça ne posait pas réellement de problèmes, mais s'il avait été un pro-kira, voir une fille qui trouvait si rapidement des pourcentages, il l'aurait sûrement embarqué pour le poste de police le plus proche. Ça faisait partie de la politique « on ne sait jamais. » Et puis, personne ne pouvait ignorer que les rebelles étaient de plus en plus jeunes ces temps-ci. Bien sûr, il n'avait aucune certitude qu'elle en était une, il en doutait d'ailleurs fortement. Mais vu qu'il en était lui-même un, il s'en fichait. Tout cela ne changeait rien à sa vie, ni à celle de Mello, alors à quoi bon. Néanmoins, après avoir écouté ce qu'elle avait à dire, il se permit de lui faire une remarque. Foutue probabilité qui induisait souvent le monde en erreur.

« Comme tu dis, les chances que je sois un pro-kira sont maigres, très maigres. Peut-être même quasiment nulle. Mais pas nulle. Et celle que je sois un pro-kira n'est pas absolue. Alors je pourrais aussi bien te demander de me suivre au commissariat que de tuer d'une crise cardiaque. »

Elle était douée quand même. Bon, il avait peut-être trop laissé apparaître sa console, ce qui jouait en sa faveur. Mais il ne l'avait pas fait exprès, alors ça faisait un point pour elle. La vie était comme un jeu vidéo, quand ton adversaire faire une erreur, tu en profites forcément. Par contre, elle connaissait l'existence de ces jeux, et elle semblait savoir qu'on les achetait dans le coin, et elle n'était pas partie en courant. Peut-être qu'il n'avait pas affaire à une adoratrice de Kira. Et puis, même si elle en était une, qu'est-ce que ça changerait ? Il voyait mal ce que cette enfant pourrait contre lui, sauf si elle était une criminelle mais dans ce cas-là elle semblait plus sensée que certains qui parcourent les bas-fonds. Ou elle allait courir à la police, et dire qu'elle avait vu un roux avec des lunettes, ça serait marrant, mais elle aurait des problèmes. Et puis, à quoi y réfléchir, il s'en fichait.

« T'es intelligente petite, fais attention. C'est plus dangereux qu'autre chose maintenant. »

Il ralluma une cigarette après avoir correctement rangé sa console dans la poche de son manteau. Il ne faudrait pas qu'il la perdre en rentrant en moto, il serait incapable de la remplacer. Ce serait juste horrible, une perte meurtrière pour le roux. Si seulement le ministère n'avait pas non plus interdit les vrais jeux.

« Je ne veux pas te faire peur longtemps. Et puis, faut pas que je traîne, tu sais, les policiers. Ils seraient ravis de m'arrêter, tout comme toi. »

Alors, il s'éloigna tranquillement. Il fallait qu'il rentre au quartier général avant que Mello trouve une bonne raison – et il y en avait – de l'engueuler parce qu'il avait tardé à cause de ces foutus jeux vidéos. Mais c'était une rencontre intéressante, même lui ne pouvait le nier. Il faudrait qu'il pense à se renseigner un peu sur elle, ce devait être possible, même sans nom. Il se retourna. Cette fois, il parlait assez bas. De toute façon, il était assez proche pour qu'elle l'entende.

« En fait, si un jour, tu voulais me retrouver, je suppose que tu sais te servir correctement d'un ordinateur. Le chat de Cheshire est ton ami. Enfin, façon de parler. »

Et il repartit. Que voulait dire correctement, elle devait bien s'en douter. Il fallait se méfier de nos jours quand on se servait de ce genre de machines, tout le monde le savait.