[Flashback] J'irai dormir chez vous { Billie

Il rentra la clé dans la serrure comme s'il entrait dans sa propre habitation, jetant un coup d’œil pour regarder autour de lui, mais rien de plus.

Il avait fait attention, guettant le moment où les colocataires de Billie, des femmes chiantes et peu tolérantes, seraient parties pour quelques raisons que ce soit. Dès qu'il les avait vu partir, il avait remis le sac sur son épaule et s'était redirigé vers la porte d'entrée.

C'était un gros sac, énorme et lourd. Il semblait peser sur l'épaule de l'homme qui semblait galérer pour le porter, le remettant à terre de temps à autre. Lui, il ne se ferait pas embaucher par une grande boutique ou serait probablement refusé à l'entretien d'embauche pour cause de « look inapproprié ». Il semblait avoir oublié la définition de brosse à cheveux, ses yeux étaient cernés, lui donnant un petit air de famille avec les pandas et ses habits, ses ongles, ses chaussures...tout était à refaire, même la douche.

Donc Beyond Birthday finit de tourner la clé dans la serrure, prouvant de la même manière qu'il avait fait faire, on ne savait trop comment, un double des clés de la maison de sa sœur.

Il traîna le « sac à sapin » opaque à travers la pièce et le mit sur le tapis qui ornait le sac.

« Bon. Bon, bon, bon, bon. »

B se gratta nerveusement le cou et  fit craquer les doigts, ordonnant dans son cerveau la liste des choses qu'il devait faire.

Un.

Il se déplaça jusqu'à la cuisine pour sortir des placards un pot de confiture à la fraise : sa sœur était une crème et malgré ce qu'elle disait, il serait toujours le bienvenue ici. Il l'entama avec un appétit de loup.

Deux.

Il ouvrit le sac qui contenait, vous vous en doutez, le cadavre d'un mec qui avait la quarantaine, refroidit par blessure au cou. Quelqu'un de suffisamment d'intelligent avait dû vider un rouleau de sopalin dans la blessure, ce qui avait évité à la plaie de fuiter partout dans le sac, et par conséquent le rendre très traçable.

B jeta un regard très neutre à cet inconnu : ce type avait tripoté une femme dans le métro, juste sous ses yeux. Il n'avait pas réagi sur le coup mais l'avait suivi jusqu'à chez lui et...chtok !

Un connard de moins, que de choses bien.

Trois.

Il ferma le sac, satisfait de constater que le coup du sopalin était efficace, puis le traîna jusqu'au garage de Billie. Il fit de la place sur une des tables de travail – si on appelle « faire de la place » « balancer tout par terre » et, des forces qui lui restaient, réussi à le pousser tant bien que mal sur la planche.

Bon. Bon, bon, bon.

B se frotta les mains, regardant autour de lui s'il ne pouvait pas trouver un peu de matériel ici.

Découper les gens, c'était tout de même plus amusant quand ils étaient vivants, mais il fallait faire avec les moyens du bord.

« Bon. »

Il repéra une petite scie qu'il mit à côté du cadavre, comme la perceuse électrique.

« Je sais ! »

Il remonta à dans la cuisine, cherchant de ses yeux l'objet de ses désirs : un couteau à viande et du film plastique. Beaucoup de film plastique !

Beyond était donc presque satisfait de lui lorsqu'il sentit une autre présence.

« Ha. Billie. Quelle...joie de te voir ! Je prépare le thé ? »

Billie était belle : belle comme à son premier jour. Il n'y avait que cette cicatrice, cruelle et indigne d'elle qui gâchait le paysage. Son visage en colère le charmait encore plus : décidément, B adorait sa plus jeune sœur, malgré tout ce qu'il pouvait dire parfois.

Il ne s'était pas aperçu qu'elle était ici et surtout à l'étage. Les opérations qu'ils avaient faites avaient fait un peu de bruit, il s'était assuré que les colocataires chiantes n'étaient pas présentes pour ne pas avoir à les zigouiller, mais sa propre sœur...pourquoi n'avait-il pas vérifié tout l'étage ? Désirait-il inconsciemment être surpris ?

B eut un rire gêné qui ne lui ressemblait guère tandis qu'il courait se placer devant Billie qui continuait de marcher, imperturbable.

« J'te conseille pas d'y aller ! Enfin j'avais pas le choix, faut que tu te dises ça ! J'avais pas d'autre endroit ! »

Il aurait aussi pu tenter de le découper dans le salon, ce que Billie aurait moyennement apprécié. En choisissant la cave, il prenait un endroit qui n'était pas vraiment fréquenté et que toutes et tous évitaient en général. Le lieu idéal pour ses petites magouilles.

« J'ai récupéré un double des clés...je suis de la famille, ça ne devrait pas te gêner ! »

Il aurait dû s'y attendre, mais Billie ouvrit la porte et finit par découvrir le pot aux roses. Le cadavre du type reposait toujours, tranquillement, sur l'établi. Entre les couleurs blanches et rouges, il n'avait pas l'air de vouloir bouger et sa silhouette immobile apaisait presque Beyond.

« Hum...Je suppose que je n'ai plus d'excuses...Mais rassure-toi, ce type était un enfoiré de son vivant ! Je n'avais pas les produits qu'il fallait pour m'en débarrasser, alors je me suis dit...Que je pouvais venir chez toi, non ? Je sais que tu n'aimes pas beaucoup ça, mais tu sais quel poids il fait ? Ce type, il devait pas manger que du tofû ! »

Le regard de Beyond Birthday passa du cadavre à Billie, puis de Billie au cadavre comme s'il ne comprenait pas vraiment ce qu'elle voulait. Le but, ce n'était pas de s'en débarrasser, justement ? Sa sœur n'avait pas de la suite dans ses idées, et, de plus, elle n'avait aucune expérience.

Secouant la tête, il la vit partir du garage pour remonter vers son salon. S'il ne la connaissait pas, il aurait dit qu'elle allait bouder – et B la connaissait très bien, sa plus jeune sœur. Il lança un regard un peu ambigu au corps, fit une grimace.

« Puisque je te dis qu'il est trop lourd sur mon dos, bordel... »

Elle voulait qu'elle le dégage de là ? Très bien, il y passerait, mais puisque la maîtresse de maison avait le dos tourné, ce serait en morceaux, comme il l'avait prévu à l'origine. Il s'empara par conséquent de la scie et se mit au travail.

Une quinzaine de minutes plus tard – et foutrement sale – B put enfin souffler. Il n'avait pas vraiment bonne mine mais contemplait avec fierté un tronc, deux paires de jambe et de bras, et une tête. Il enverrait certainement cette dernière en colis à la famille de la victime. Prudemment, il finit par désinfecter le corps et enlever toute trace d'ADN qui puisse rester de sa part – il fallait avouer que l'affaire les meurtres en série aux poupées de paille de Los Angeles lui avait fait la main. Finissant son travail, il rit un peu, contemplant les petits sacs qui seraient beaucoup plus faciles à trimbaler. Il rangea le matériel, mit la scie et les quelques autres outils dont il s'était servi dans l'évier pour les laver.

Une fois le garage véritablement nettoyé et désinfecté, il remonta dans le salon, tâché de sang comme il l'était.

« J'ai fait ce que tu demandais, Bi. Il sera bientôt plus chez toi...Je peux t'emprunter la douche ? »

Lui qui pensait qu'elle allait l'engueuler, elle aurait pu le faire, ça aurait été justifié, elle se contenta de lui faire un simple baiser sur la joue, l'air totalement...éméchée ? La preuve en était de ce baiser qu'elle posait sur sa joue alors qu'il revenait complètement crade d'une opération au cours de laquelle il avait sué sang et eau (c'était encore plus le cas de le dire). Les yeux de Belzebuth se posèrent sur la bouteille qui était à côté d'elle et il grogna un peu. Il n'aimait pas ça, de trop mauvais souvenirs avaient tendance à remonter à la surface, ceux de son paternel en premier lieu. B prit donc la bouteille et se contenta de la jeter à la bouteille, dans un calme qui ne lui ressemblait vraiment pas.

Trop ébahi par Billie, il n'avait pas dit un mot jusqu'à ce qu'elle lui rapporte des vêtements. À son retour, il lui prit les fringues propres des mains – il devrait penser à bâtir une planque par ici, vu le nombre d'heures qu'il y passait.

« Touche plus cette bouteille, Bi. T'es pas comme lui. Je ne veux pas te voir dans cet état-là. »

Totalement sérieux et un peu abattu, il partit en direction de la salle de bain, croisant les doigts pour ne pas rencontrer une nouvelle fois cette petite enfoirée de Sayu Yagami. L'idée comme quoi il pouvait la croiser le mettait totalement de mauvaise humeur et lui donnait des idées contre Light Yagami qui n'aurait pas été très sympathiques pour sa santé mentale et physique.

La douche lui fit un bien fou et il y passa une vingtaine de minutes. Le confort était un luxe dans la vie qu'il menait, aussi prit-il le temps de s'attarder sur un lavage soigneux de ses cheveux et de regarder plus en détails certains plaies dues à ses vieilles brûlures qui ne lui disaient rien de bon. Il se sentait vieux, usé. Parfois, il avait l'impression que les jours qui lui étaient encore accordés n'étaient qu'un don du ciel de Kira.

Après un bon quart d'heure supplémentaire à se coiffer devant le miroir embué et s'habiller, B descendit de nouveau vers la cuisine.

« Tu vas bien, Bi ? La bouteille, c'était la première fois ? »

Juste après avoir donné les vêtements à Beyond, Billie descendit les escaliers et elle décida de se boire un autre verre. Lorsqu'elle vit que la bouteille n'était pas sur la table basse, elle fronça les sourcils. Il lui fallut deux secondes pour se souvenir que son frère venait de mettre la bouteille à la poubelle. Elle regarda en direction de la cuisine puis vers le meuble où elle pourrait trouver d'autres bouteilles. Elle avait trop la flemme d'y aller alors elle s'affala sur le canapé en attendant que son frère finisse sa douche.

Lorsque son frère descendit, Billie avait le regard fixé droit devant elle mais lorsqu'elle entendit les escaliers craquer, elle se « réveilla » et tourna le regard vers son frère et lui sourit.

Elle fut surprise de la question de son frère et répondit du tac-au-tac.

- Non c'est pas la première fois. Quand j'étais ado, il m'arrivait de boire avec des jeunes de mon âge à des fêtes.

Elle ne précisa pas qu'à la mort de son mari (et avant qu'elle n'apprenne que ses enfants n'étaient pas morts) elle avait bu verre sur verre jusqu'à s'en rendre malade.

Il fallut plusieurs minutes pour que Billie comprenne la raison de l'inquiétude de son frère sur le fait qu'elle soit éméchée. Elle leva aussitôt les yeux vers lui, les larmes aux yeux. Elle prit le visage de son frère entre ses mains pour le forcer à la regarder dans les yeux. Elle voulait qu'il voit que ce qu'elle allait lui dire était sincère.

- Si l'alcool me rendait violente, tu peux me croire que j'aurais immédiatement arrêté de boire. J'ai toujours fait en sorte de ne jamais devenir comme notre putain de père...

C'était peut-être momentané, mais il n'aimait pas cela. Lui-même ne prenait jamais d'alcool, autant par manque d'habitude qu'à cause du souvenir qui le liait à son père. Curieusement, lui, B le brave, B qui tuait des gens, détourna le regard lorsqu'elle lui prit le visage entre les mains. Il eut un grimace qui n'avait rien de ragoûtant, puis s'éloigna un peu d'elle. Il se sentait désormais propre après cette douche, mais il ne reconnaissait plus sa sœur lorsqu'elle parlait de la sorte.

« Je n'en ai rien à foutre. Que tu sois violente ou non après avoir bue, c'est le cadet de mes soucis. Je suis violent sans avoir bu, ce n'est certainement pas ça que j'irai te reprocher. Au contraire, Billie...si tu veux te défouler, frappe, tue, éviscère Trouve toujours une excuse pour le faire, cependant. Tu peux même te faire embaucher par la morgue si tu peux prendre ton pied de la sorte. »

B était à 3 000 lieues de la réalité de Billie. Il était un homme qui justifiait ses crimes par le fait qu'il voyait la date de la mort des personnes s'afficher sur leur tête...et que c'était donc pour cela qu'il les choisissait. Il était brut de décoffrage, violent et horrible. L'homme qu'il était n'avait plus rien à voir avec Billie et sa seule occupation en ce moment était un curieux dilemme qu'il avait avec lui-même et qui consistait entre une décision pour l'emmener tout droit dans sa chute avec lui, lui transférer ses connaissances de criminel, ou la laisser tranquille et lui laisser vivre la vie qu'il n'avait jamais eue.

B soupira.

« Tu fais ce que tu veux, mais ne te plains pas. Je dégage. J'ai un paquet à emmener à la décharge, n'en déplaise une nouvelle fois à Iwa. Je vais le chercher, à moins que tu ne comptes le recycler dans tes casseroles. »

Billie fut choquée de voir son frère s'éloigner ainsi d'elle, et surtout, elle eut mal lorsqu'il afficha un air de dégoût. Ses yeux s'ouvrirent en grand et des larmes coulèrent.

Non, non, non ! Elle était faible, si faible !

Billie sécha rageusement ses larmes et elle serra si fort ses poings que ses jointures blanchirent. Elle frappa alors violemment la table de son poing. Elle sentit une douleur fulgurante de sa main jusqu'à son bras mais elle n'y fit pas attention. Elle se leva et fusilla du regard son frère.

- Pourquoi veux-tu que je devienne comme toi ? POURQUOI ? Putain j'en ai marre d'être une déception pour toi juste parce que je suis pas une psychopathe ! J'en ai marre de devoir supporter tes sautes d'humeur et j'en ai marre que tu me prennes parfois pour un punching-ball ! JE SUIS TA SOEUR, TA SEULE FAMILLE !

Elle tremblait de rage et s'éloigna de son frère en allant se réfugier dans la cuisine. Elle n'arrivait pas à se calmer et alors elle fit tomber l'égouttoir où séchait des couverts, des verres et des assiettes. Ils se fracassèrent par terre et elle se dirigea vers la gazinière ou se trouvait une casserole – en ne faisant pas attention aux morceaux de verre – et la jeta elle aussi par terre.

Lorsqu'enfin elle se calma, elle remarqua que ses pieds étaient coupés et qu'elle avait laissé des traces de sang. Elle se sentait très fatiguée aussi. Elle souffla et murmura :

- Emmène ce cadavre hors de ma maison.

Il y avait quelque chose de vraiment frustrant que de voir sa propre sœur lui gueuler dessus et le chasser de chez elle : voyez, ce n'était pas pour rien qu'il était Beyond Birthday, le bourreau des corps et des cœurs ! Se rendait-elle compte du risque qu'elle prenait, à faire monter douloureusement la rage sourde qui possédait son corps depuis sa naissance ? Se rendait-elle compte qu'elle risquait de mourir ?

Et c'était étonnant, B pensait à tout cela tandis que sa sœur lui montrait la sortie, mais il n'avait pas envie de la tuer, ni de la frapper. Lui faire mal était là le dernier de ses soucis. Était-il inquiet pour elle ? On aurait presque pu dire ça. La ride du souci naquit près de sa mâchoire, et il entrouvrit la bouche, vraiment paniqué pour celle qui partageait son sang : pourquoi lui avait-il dit cela ? Pourquoi l'avait-il encouragée à suivre la même voie que lui alors même qu'il se haïssait et n'avait pas un seul endroit sûr pour dormir la nuit ?

B ferma sa bouche immédiatement. Il ne pouvait pas dire à Billie combien il aimait, le mieux qu'il pouvait faire, c'était assurément partir pour la protéger et ne pas tomber dans le mélodrame. Jusqu'ici, c'était ce qu'il avait fait de mieux.

« Ok. », lança sa voix tandis qu'il faisait demi-tour. Il se rendit directement à la cadavre et s'emparer du sac. Il retourna une nouvelle fois vers Billie, constata qu'elle s'était de nouveau blessée par sa faute et soupira.

« Il y a du désinfectant dans la salle de bain. »


Sans un autre mot, il poussa la porte dans le but de disparaître dans cette masse de civilisation.